Bien sûr, je vais vous parler, entre autres, de cette blague qui a été racontée tout dernièrement par notre Chef de Gouvernement qui, décidément, n’en rate plus une. Bon, c’est vrai, elle n’est pas très drôle et il en reconnaît lui-même «l’acidité», mais avouez qu’elle est quand même, comment dire… un peu osée. Dois-je vous préciser qu’il l’a racontée du haut de la tribune d’une réunion très officielle des groupes de la majorité ou quelque chose du même genre. Autrement dit, un évènement où l’on doit rester plutôt posé.
Pourtant, lui, même étant ce qu’il est, et de là où il est, il a osé. Et à ce propos, vous avez dû remarquer que ces derniers temps il n’arrête pas d’oser. On peut même dire qu’il y a overdose d’osage. Ce qui est un peu bizarre, c’est que ça tourne plus ou moins sur les mêmes thématiques : la femme, la polygamie, le mariage, les nanas un peu volages, les mecs pas très sages, bref, ce n’est pas encore le langage du libertinage, mais si on continue comme ça, on va bientôt y arriver. Bien entendu, je plaisante et ce n’est pas moi qui vais reprocher à M. Benkirane ou à quiconque d’autre de mettre un peu de sel dans notre quotidien pas toujours très rigolo.
Cependant, il y a quelque chose qui me turlupine et je vais vous dire quoi. Je ne voudrais pas faire de l’anthropologie à deux sous, mais j’aimerais partager avec vous quelques réflexions qui me triturent vraiment l’esprit depuis quelques jours, voire depuis quelques semaines. C’est cette ratatouille que l’on nous sert dans un récipient lavée à l’eau bénite, et où l’on nous mélange identité, spécificité, religiosité, timidité, laïcité et plein d’autres énormités, et tout cela pour nous prouver ou pour nous convaincre que nous Marocains, nous sommes des arabo-berbéro -judéo-musulmans, et de ce fait, nous n’avons absolument pas le droit de dire des choses, de voir ces choses, d’entendre ces choses, de montrer ces choses, de parler de ces choses sinon, oh Mon Dieu, nous allons tous aller en enfer !
Moi je veux bien croire à tout cela, mais pas avant qu’on m’explique une fois pour toutes pourquoi ils veulent nous priver et nous éloigner de toutes ces choses-là, alors que d’abord toutes ces choses-là existent chez nous, que nous vivons avec depuis la nuit des temps, que nous les voyons et les entendons chaque jour et chaque nuit dans toutes nos rues et dans tous nos quartiers et pas forcément les moins chics ou les plus chauds, bref, pourquoi ils veulent occulter ce qu’ils appellent la «saleté» et pourquoi elle les gêne autant, alors qu’ils savent bien que cette «saleté» est dans nos gènes, qu’elle fait partie intégrante de la texture de notre société et que ce qu’ils appellent la «spécificité» n’est en fait qu’un numéro minéralogique dont peuvent se prévaloir toutes les autres sociétés. Je voudrais, si vous me le permettez, ouvrir une petite parenthèse qui n’est pas sans rapport avec ce que je vous raconte depuis tout à l’heure. Mardi dernier, j’ai vu un film de Hicham Lasri qui s’intitule «The sea is behind».
Derrière ce titre il y a justement une histoire d’eau, mais plutôt sale qui nous asperge dès les premiers plans. C’est un film en noir et blanc, mais il nous en fait voir vraiment de toutes les couleurs. Il dit tout, il montre tout, il dénonce tout et, – là, c’est plutôt une critique – il parle de tout : de l’homosexualité bannie, de la prostitution libérée, de la répression policière, de l’injustice sociale, de l’exclusion physique, bref de toute la misère humaine et même animale, et tout cela avec un réalisme, pardon, un surréalisme qui donne la nausée… Pourtant, à la fin de la projection du film – d’ailleurs autorisé à la distribution mais pas aux moins de 16 ans – il n’y a eu ni émeute, ni ce qu’ils appellent «fitna»…
Tout le monde est rentré chez soi, un peu sonné, peut-être, mais c’est un peu cela l’ivresse du miroir. A propos de miroir, je crois avoir pigé aujourd’hui pourquoi on a autorisé «The sea is behind» et interdit «Much loved». Je crois que parce que le premier montre qu’il y a des prostituées au Maroc, et le second, qu’il y a vraiment de la prostitution. C’est vrai que la différence est énorme. Alors, arrêtons de nous mentir et de nous faire croire que nous serions plus bien élevés et plus pudiques que d’autres, parce que nous serions plus bénis que tous les autres. Non, nous sommes exactement comme les autres, pas meilleurs et pas pires. Et ce n’est pas M. Benkirane qui va me contredire.
En attendant d’être un peu plus clairs avec nous-mêmes, je souhaite à tous ceux et à toutes celles qui aiment vivre et qui aiment rire, un très bon week-end. Quant aux autres…
Un dernier mot sous forme de devinette pour rigoler un peu : Pourquoi nos intellos parlent beaucoup quand ils n’ont rien à dire, et ne disent plus rien quand ils doivent parler ?