Culture

La chasse aux livres étrangers

Où sont passés Auster, Higgins, Faulkner et tous les auteurs du monde traduits en français ? Ils ne sont plus dans les rayonnages de la bibliothèque de l’Institut français de Kénitra ! L’homme qui a fait ce constat ahurissant est l’écrivain Jean-Pierre Koffel – également vice-président de l’Association pour la Promotion des Ecrivains (APEC). Il voulait lire des auteurs américains pour mener des recherches au sujet d’une table-ronde sur le roman policier. « J’ai cherché un premier auteur américain sans le trouver. Je me suis dit que les abonnés avaient emprunté tous ses livres. J’en ai cherché un deuxième sans succès non plus, un troisième et ainsi de suite… A la fin, j’ai dû me rendre à cette évidence : tous les auteurs non-français de polars ont disparu ! » nous a-t-il confié. Interloqué par cette disparition, il a mené des recherches et a appris que les médiathèques des Instituts français (IF) avaient reçu l’instruction de retirer de leurs bibliothèques les littératures étrangères traduites en français et de « ne plus passer commandes de livres traduits en français » comme souligné dans le communiqué de l’APEC. De mystérieux agents ont donc mené la chasse aux littératures du monde dans cette bibliothèque. On peut se demander quel sort sera réservé à ces livres. Une fin digne et terrible par le feu ? ou un triste séjour chez les marchands de cacahuètes ?
Plus sérieusement, la recommandation de retirer les littératures du monde des Instituts français établis au Maroc provoque beaucoup d’embarras au service culturel de l’Ambassade de France. Jean-Christophe Deberre, conseiller de coopération et d’action culturelle auprès de cette Ambassade, l’a démenti catégoriquement : « C’est totalement faux ! Je garantis qu’aucune instruction n’a été donnée dans ce sens.
L’inverse serait absurde ! Tout ce qui concerne les Instituts français passe par mon service. Une décision aussi importante ne peut tout de même pas m’échapper ». Il faudrait pourtant croire que quelqu’un a bel et bien donné cette instruction. Le directeur d’un institut français nous a confirmé l’avoir reçue, mais il a refusé “d’obtempérer”. Cette « nouvelle n’est ni complètement vraie, ni complètement fausse », a dit pour sa part Agnès Dumont-Fillon, coordonnatrice des médiathèques des IF au Maroc. Elle a estimé qu’elle était beaucoup plus complexe que ne le laissait entendre le communiqué de l’APEC.
Cette recommandation ne vise pas seulement les livres, mais également les films. Elle ne concerne pas toutes les littératures et les cinémas du monde, mais surtout les productions du monde anglo-saxon. Il a été constaté que les abonnés dans les IF consomment bien plus de livres anglo-saxons traduits en français et de films américains que d’oeuvres dont les auteurs sont français. Cette décision obéit ainsi « à la volonté de faire évoluer les médiathèques en lieu de diffusion de la culture de la France contemporaine » selon les termes du directeur d’un IF. Elle traduit une appréhension de voir la culture anglo-saxonne faire des adeptes dans un lieu de promotion de la culture française. Le problème, c’est que ces abonnés lisent et regardent ces oeuvres en français. Toute langue véhicule une culture. Et une langue qui limite sa géographie culturelle aux personnes qui la parlent, depuis la naissance, est vouée à l’épuisement, à l’étroitesse. Jusque-là, tout le monde se félicitait de l’action des médiathèques des IF, par ce qu’ils faisaient – il faut bien le dire – office de bibliothèques publiques. Les abonnés étaient à moitié sûrs d’y trouver un écrivain récent ou un film d’un grand réalisateur américain. Cette richesse d’auteurs du monde explique en grande partie le succès de ces médiathèques auprès des abonnés. En menant la chasse à des auteurs anglo-saxons dans ces structures, en engageant des actions de purification, on chasse en même temps beaucoup d’abonnés.

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