Culture

La revanche d’un mulâtre

Trop pisse-copie pour être bon écrivain, trop croqueur dans la vie pour être cérébral, trop affabulateur pour être conséquent, trop solliciteur de nègres pour avoir un style, trop facile à lire pour ne pas être suspect, Alexandre Dumas a souffert, tout au long de sa vie, de nombreux préjugés et de propos condescendants qui lui ont longtemps maintenu la porte de la république des lettres à moitié fermée. L’université l’a délaissé pendant près d’un siècle, les manuels scolaires l’ont écarté. L’auteur français le plus lu dans le monde a toujours souffert d’un alliage jugé impur. À commencer par sa filiation. Petit-fils d’esclaves et fils d’un général de couleur pendant la révolution, le premier procès fait à Alexandre Dumas se rapporte à son physique. C’est un mulâtre.
Plusieurs caricatures de l’époque insistent sur la physionomie négroïde de l’intéressé. L’un de ses détracteurs, Mirecourt, le décrit dans un pamphlet ainsi : « Le physique de M. Dumas est assez connu : stature de tambour-major, membres d’Hercule dans toute l’extension possible, lèvres saillantes, nez africain, tête crépue, visage bronzé. Son origine est écrite d’un bout à l’autre de sa personne ; mais elle se relève beaucoup plus encore dans son caractère. Grattez l’écorce de M. Dumas et vous trouverez le sauvage. »
Tous les préjugés relatifs au « nègre » sont appliqués à Dumas. Un dévorateur de femmes, un brûleur de chandelle par les deux bouts ou « l’écrivain qui pue » comme se plaisaient à l’appeler les hommes de lettres dans certains salons. Dumas va de surcroît donner à ses détracteurs un jeu de mots facile : le Noir qui a recours à des nègres. Ce reproche fait à Dumas par ses contemporains continue d’opérer jusqu’à ce jour. Il ajoute un autre élément à cette composition impure dont on a fait grief à l’écrivain. Ses romans sont apparentés à des fils naturels ou aux enfants d’une mère qui prête généreusement ses joues à qui veut y apposer sa marque. La paternité partagée des livres de Dumas est le motif du ressentiment de plusieurs personnes. Elle a contribué à la mauvaise image de l’écrivain, ignoré de l’Université et méprisé par beaucoup de critiques.
L’oeuvre à la paternité unique est très chère à l’Occident. Il faut qu’elle soit attribuée à une seule personne pour être digne d’intérêt. Le partage était pourtant fréquent. Les grands peintres laissaient souvent à leurs élèves sinon le loisir d’honorer une commande à leur place, du moins le soin de la réaliser à moitié. Cela n’a pas empêché les historiens d’art de désigner un seul auteur à ces oeuvres. En plus, si les nègres demeurent d’habitude dans l’anonymat, ceux de Dumas ont une identité, un nom. Le principal “co-auteur” des romans de l’écrivain s’appelle Auguste Maquet. Claude Schopp, le plus connu des biographes de Dumas, défend ce dernier en ces termes : « Il savait qu’en se lançant dans la littérature feuilletonesque, il était fichu car il entrait dans l’impureté littéraire, comme si la littérature était pure ! » Impureté, nous revoici dans cet alliage de sang qui a donné lieu aux railleries des contemporains de l’écrivain.
Cet alliage a contaminé donc ses livres. Un homme à la filiation impure ne peut produire des livres racés. De tous les préjugés dont on crédite généreusement les hommes de couleur, on ne retrouvera pas pourtant celui de la paresse appliqué à Dumas. Il était un infatigable travailleur. Il a publié 600 volumes et créé plus de 37 000 personnages. Fleuve torrentiel et intarissable de mots, il ne pouvait tout écrire lui-même. Mais cet alliage que l’on reconnaissait comme une tare à l’homme n’est pas palpable dans les romans qui ont fait la réputation de l’écrivain : « Les trois mousquetaires», « Le Comte de Monte-Cristo » ou « La Reine Margot ».
Dumas imposait son écriture éclatante, et ses nègres marchaient au pas en l’imitant. La voix qui traverse d’un bout à l’autre ses romans lui a valu plusieurs admirateurs dont Feu Hassan II qui a restauré la salle maure de son château à Marly-le-Roi (Yvelines).
Avec le transfert de ses restes au Panthéon, Dumas a une vengeance encore plus flamboyante que celle de son personnage Monte-Cristo. L’écrivain, né en 1802, rejoint ainsi les 61 « grands hommes », dont Jean-Jacques Rousseau, Emile Zola, Jean Moulin ou Pierre et Marie Curie, qui reposent déjà dans ce lieu. Une revanche pour ce petit-fils d’une ancienne esclave noire, longtemps méprisé en raison des alliages d’où il tire sa force.

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