L’Instance Equité et réconciliation (IER) ne se contente pas de donner la parole aux victimes des années de plomb. En témoigne l’organisation d’audition, thématiques et de conférences sur le même sujet, où la parole est donnée également à des historiens, des juristes et des universitaires.
La dernière rencontre du genre a eu lieu les 18 et 19 février à la Faculté de droit de Casablanca. Le thème retenu pour cette rencontre, organisée en partenariat avec l’Association des barreaux du Maroc, a été « les poursuites et les procès à caractère politique de 1956 à 1999 ».
En fait, les milieux sécuritaires n’étaient pas les seuls responsables des atteintes aux droits de l’Homme au Maroc. L’appareil judiciaire également a été, à maintes reprises, pointé du doigt par les témoins.
Bon nombre d’avocats ont rappelé les violations aux droits de défense de leurs clients. Les procès sommaires étaient monnaie courante.
A l’écoute des témoignages, force est de constater que tous les appareils de l’Etat étaient « mouillés » dans cette politique de répression à grande échelle. On en veut pour illustration, les propos de Rachid Manouzi, victime-témoin. Il a rappelé, lors de la première séance d’audience du 21 décembre 2004, le circuit infernal de sa détention. Du centre de détention de Derb Moulay Chérif à Casablanca, il fut transféré à la prison militaire de Kénitra, pour atterrir enfin à la prison civile de Marrakech. Tout au long de cette détention qui a duré un an, Rachid Manouzi et ses compagnons d’infortune avaient toujours les mêmes gardiens. « Ils nous suivaient partout », dit-il. Ces gardiens étaient habillés en civil, à Derb Moulay Chérif, ils portaient la djellaba vert-olive de l’armée dans la prison militaire de Kénitra et arboraient la tenue officielle des gardes pénitentiaires (un corps sous tutelle du ministère de la Justice) dans la prison civile de la ville ocre. En termes clairs, la Direction générale de sûreté nationale (DGSN), les Forces armées royales et le ministère de la Justice sont entièrement responsables des exactions du passé. C’est tout le problème de l’indépendance du pouvoir judiciaire qui s’est posé.
Aujourd’hui, on le sait (et surtout on le dit), la Justice obéissait au doigt et à l’oeil aux services de sécurité. L’un des objectifs de l’action de l’IER sera justement de mettre toute la lumière sur les relations anti-démocratiques et malsaines que peuvent nouer les appareils judiciaires et sécuritaires.
Par ailleurs, la conférence de l’IER a soulevé plusieurs procès historiques. Il s’agit notamment des événements du Rif (1958-1959), de l’affaire Anis Balafrej, du procès de Marrakech (1971) et de l’affaire Serfaty. Mimoun Charqi, professeur de droit et historien de la guerre du Rif, a rappelé qu’en « l’espace de trois mois seulement, les autorités marocaines ont liquidé plus de 7.000 personnes ». Et d’ajouter : « c’est un chiffre colossal sachant que lors de la guerre du Rif, qui a duré cinq ans, les forces espagnoles ont tué 14.000 personnes ».
Par ailleurs, le Pr. Charqi a estimé que « des documents historiques prouvent qu’un parti marocain, en l’occurrence l’Istiqlal, est totalement responsable de la répression qui a touché le Rif en 1958 et 1959 ».
Mimoun Charqi a estimé que dans « la notion de réconciliation sous-entend une reconnaissance et une demande de pardon aux victimes ». « Si ce ne sont les responsables qui font cette démarche, leurs héritiers doivent prendre l’initiative », conclut Charqi.













