Dès son jeune âge, la musique a toujours été son refuge et sa source d’inspiration. Le chanteur andalou juif Marc Marciano s’est réconcilié avec la scène au Festival des Andalousies Atlantiques Essaouira, après 20 ans d’absence. Dans cet entretien, il livre sa passion pour le chant, la musique andalouse et le malhoun. Il nous parle également de son projet d’anthologie de la musique andalouse en deux langues : arabe et hébreu.
ALM : Parlez-nous de votre parcours…
Marc Marciano : Je suis né à Oujda en 1970, dans une famille profondément ancrée dans la culture andalouse. En 1972, mon père, qui travaillait dans la fonction publique, a été muté à Rabat, ce qui fait que je me considère souvent comme un Rbati d’adoption, puisque j’y ai vécu jusqu’en 1987 et pratiquement jusqu’en 2003. Mon parcours scolaire a été assez classique : j’ai obtenu mon baccalauréat en 1987 à Casablanca. Cependant, en parallèle de mes études, j’ai toujours été fasciné par la musique andalouse, que j’écoutais lors des cérémonies et des moments familiaux. Cette musique, pour moi, n’est pas qu’un art, c’est une partie de mon identité, un lien indéfectible avec mes racines. Après le lycée, j’ai entrepris des études de mathématiques à Strasbourg avant d’obtenir mon diplôme d’ingénieur en informatique de gestion à Paris. Bien que ma carrière ait pris un tournant différent pendant un temps, la musique a toujours été mon refuge et ma source d’inspiration. Je porte le Maroc et sa culture dans mon cœur, et chaque fois que je chante, j’ai l’impression de ramener un peu de mon pays ici, en France. La musique andalouse est pour moi un trésor vivant, un héritage précieux que je m’efforce de transmettre et de partager avec le monde, où que je sois.
Comment est née votre passion pour le chant dans un premier temps, pour la musique andalouse et le Malhoun ensuite?
La passion pour le chant m’est venue très tôt, à la synagogue. Dès l’âge de cinq ans, des adultes avaient perçu en moi une qualité vocale prometteuse. Comme tout enfant, les compliments m’ont encouragé, mais plus profondément, je pense que c’est le fait de me sentir valorisé à leurs yeux qui m’a poussé à continuer. Ils ont constitué en quelque sorte mon tout premier public. Quant à la musique andalouse et au Malhoun, il m’a toujours semblé que c’est cette musique qui est venue à moi, et non l’inverse. Mon histoire familiale en est peut-être la clé : mes ancêtres sont originaires d’Andalousie et se sont établis dans le nord-est du Maroc à la fin du XIVe siècle, bien avant l’expulsion d’Espagne par Isabelle la Catholique. L’Andalousie est donc une partie de mon ADN, enrichie par mon identité marocaine. En grandissant à Oujda, où le Gharnati est omniprésent, puis à Rabat, où j’habitais près de Haj Ahmed Piro, cette musique faisait partie de mon quotidien. J’ai aussi été profondément marqué par des maîtres comme Haj Mohamed Bajjedoub, Abderrahim Souiri, Abdelfettah Bennis et Abdessadek Chekara, dont les interprétations de poésies andalouses ont façonné et coloré ma voix. Dès mon jeune âge, j’ai été désigné à la synagogue pour entonner les chants de prière sur des airs andalous, ce qui a renforcé mon lien naturel avec cette musique. Enfin, ma mère, originaire de Sefrou, m’a transmis son amour pour le Malhoun, que j’ai intégré dans mon répertoire dès mon enfance.
Après 20 ans d’absence, ça vous fait quoi de renouer avec la scène au Maroc ?
Votre question en contient en réalité deux: je renoue avec la scène après 20 ans d’absence, c’est un fait ! Mais surtout je le fais dans mon pays, le Maroc. Ces 20 années d’absence ont été entièrement consacrées à ma famille. Je me suis marié en 1997, et avec mon épouse, nous avons eu cinq enfants. Être présent pour eux était ma priorité, et cela demandait du temps et de l’engagement. Aujourd’hui, mes enfants sont plus grands et les circonstances me permettent de me consacrer à nouveau à ma passion, je dirais même à ce que je considère comme ma mission. Le fait de revenir sur scène et de le faire dans un cadre aussi prestigieux que le Festival des Andalousies Atlantiques d’Essaouira, est pour moi une émotion indescriptible. Je tiens à remercier profondément Sa Majesté le Roi Mohammed VI pour Son soutien indéfectible à la culture et à la musique marocaine, ainsi que Son Excellence Monsieur André Azoulay, visionnaire et artisan de ce festival exceptionnel. Je suis également reconnaissant envers toute l’équipe organisatrice pour leur accueil chaleureux et leur professionnalisme, et à leur tête Madame Kaoutar Benamara Chakir. Une mention spéciale au directeur artistique, Monsieur Abdeselam Khalloufi, dont l’écoute et la bienveillance m’ont touché. Grâce à eux, ce retour sur scène a été une expérience unique et mémorable.
Vous êtes en train de finir votre travail entamé depuis 2001 d’anthologie de la musique andalouse marocaine dans les deux langues arabe et hébreu. Parlez-nous de ce projet et comment est née l’idée…
À la fin des années 1990, Sa Majesté le Roi Hassan II, que Dieu ait Son âme, avait initié un projet d’anthologie de la musique andalouse marocaine, Al-Ala Al-Andalusia. Ce travail a abouti à la production d’une série limitée de 10.000 coffrets. Un ami, connaissant ma passion pour cette musique, m’a offert un exemplaire, qui est rapidement devenu mon outil principal d’apprentissage. Historiquement, les poésies andalouses étaient chantées par les juifs et les musulmans, en arabe dans les espaces communs et en hébreu dans les synagogues. Mon idée était donc de prolonger cette tradition en créant une anthologie qui honore ces deux langues, rendant hommage aux origines partagées de cette musique. En 2001 et 2003, j’ai enregistré deux doubles CD, mais des impératifs personnels m’ont empêché de poursuivre. Aujourd’hui, avec l’évolution technologique, l’enregistrement ne se limite plus aux supports physiques, et je travaille désormais à finaliser ce projet pour le diffuser en ligne. Je remercie le Ciel de m’avoir permis de reprendre ce travail, et j’espère sincèrement trouver les soutiens financiers nécessaires pour le mener à bien. Ce projet est, à mes yeux, un pont entre les cultures, les langues et les traditions, et une manière de faire revivre l’essence même de la musique andalouse.
Quels sont vos ambitions et vos projets?
J’espère sincèrement que ma réponse ne paraîtra pas prétentieuse aux yeux de vos lecteurs, mais mon objectif essentiel et mon ambition absolue, à part ceux déjà évoqués au sujet de l’enregistrement de l’anthologie, sont de promouvoir la musique andalouse dans le monde entier et de l’amener au plus haut niveau possible de notoriété et de reconnaissance universelle. Nous, Marocains, devons être conscients que nous disposons d’un patrimoine musical parmi les plus variés et les plus riches du monde. Je crois que nous n’en sommes pas tout à fait convaincus. Au sein de ce patrimoine, la musique andalouse a longtemps été un signe de distinction sociale, presque d’appartenance à une caste. Il est temps aujourd’hui de la populariser. Bien sûr que ça a déjà démarré depuis une quinzaine d’années par la création d’associations culturelles et de chorales. Mais si vous me permettez de l’exprimer ainsi, tous ces efforts restent, en quelque sorte, dans un cadre marocco-marocain. Mon ambition est que le monde entier reconnaisse notre musique comme étant un patrimoine unique par sa richesse, par sa diversité, par ses enseignements et par son message, au point où je voudrais que la musique andalouse marocaine en tant que telle soit inscrite définitivement au patrimoine immatériel de l’Unesco, et non pas sous l’étiquette globalisante de musique arabo-andalouse. Enfin, au risque de vous paraître trop rêveur, voire naïf, je peux vous affirmer, à mon âge relativement avancé, qu’à ce jour, je n’ai rien trouvé d’autre que la musique andalouse marocaine, chantée en arabe en hébreu, pour œuvrer au rapprochement des peuples, des cultures et des religions. Je suis intimement persuadé que la paix entre les peuples et les différentes cultures ne passera que par des méthodes douces, dont fait partie la musique en général, et la Ala Andalusia en particulier.