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Ce que cache un émoji : L’angoisse muette d’une génération sous filtre

© D.R

xxxLe mal-être adolescent d’aujourd’hui ne s’exprime plus dans les mots ou les regards fuyants. Il s’infiltre dans les stories de 3 secondes, les statuts énigmatiques, les messages en emojis.

Ils sont des millions. Silencieux, connectés, seuls ensemble. Ils tapent des messages à la vitesse de la lumière, envoient des émojis comme on jette des bouteilles à la mer. Rien d’alarmant, pense-t-on. Des codes jeunes, des symboles anodins. Mais si ces icônes étaient en réalité les cris étouffés d’une génération à bout de souffle ? Si ces petits visages ronds traduisaient une douleur que personne ne voit, une détresse qui ne trouve plus sa place dans les mots ?
En tant que psychiatre, je le dis sans détour: les émojis sont en train de devenir le langage préféré de la souffrance adolescente. Et nous ne savons pas les lire.
Il y a une forme de poésie tragique dans ce paradoxe : jamais l’humanité n’a autant communiqué, et pourtant, jamais les jeunes n’ont semblé aussi seuls. L’émoji est leur refuge. Un langage furtif, émotionnel, malléable. Ils envoient un «» entre deux rires, postent un «» en story le soir, quand tout le monde dort. Ils jouent avec les apparences, mais à l’intérieur, quelque chose se fissure.
Dans mon cabinet, ils arrivent parfois sans mots. Alors je leur montre leur téléphone. Je leur demande : «Quand tu postes cette lune noire «», que veux-tu dire vraiment ?» Le silence est lourd. Puis viennent les larmes. Ce symbole était un appel. Il suffisait d’apprendre à l’entendre.
L’univers numérique a permis aux ados de s’exprimer sans s’exposer. Mais cette protection est aussi un piège. Derrière chaque ou chaque «je rigole », il y a souvent une vérité qu’ils n’osent pas dire: je me sens vide, perdu, inutile. Ce sont des messages déguisés, des SOS qui se noient dans le flux.
Les adultes, eux, passent à côté. Ils voient des écrans, des bulles de notifications, un monde qui leur échappe. Ils ne voient pas la détresse. Parce qu’elle ne crie plus, elle code.

L’Organisation mondiale de la santé alerte sur l’explosion de l’anxiété et des troubles dépressifs chez les jeunes. Mais ce que l’on ne mesure pas, ce sont les formes nouvelles que prend cette souffrance. Le mal-être adolescent d’aujourd’hui ne s’exprime plus dans les mots ou les regards fuyants. Il s’infiltre dans les stories de 3 secondes, les statuts énigmatiques, les messages en emojis. C’est une épidémie silencieuse, masquée par l’humour, la dérision, l’esthétique.
Ils écrivent «jpp », «mood : », et l’on croit qu’ils plaisantent. Mais parfois, c’est tout ce qu’ils ont trouvé pour dire qu’ils n’en peuvent plus.
En tant que psychiatre, je milite pour une éducation émotionnelle numérique. Il ne s’agit pas d’interdire ou de diaboliser, mais de comprendre. De réapprendre à décoder. De redonner à nos jeunes le droit d’être entendus autrement que par des likes ou des réactions.
Chaque émoji peut devenir un levier de dialogue. À condition d’avoir le courage d’en demander la traduction. À condition d’accepter que ce qui se joue sur leurs écrans n’est pas un jeu, mais parfois une survie.

Un adolescent ne dira pas toujours «je vais mal» . Il dira «je suis fatigué de tout » , il écrira « pour toujours» . Ce ne sont pas des métaphores : ce sont des balises. Si nous ne les lisons pas, si nous les ignorons, nous participons à l’isolement.
Les émojis ne sont pas le problème. Ce sont les symptômes. Le vrai danger, c’est le silence derrière l’image, c’est l’absence de relais adulte, c’est la croyance que tout va bien parce que tout a l’air «cool».
Ce n’est pas une anecdote. C’est une alerte.
Chaque jour, des adolescents souffrent dans l’indifférence connectée. Leurs messages ne sont pas silencieux : ils sont juste dans une langue que nous avons oublié d’apprendre. Et s’il est encore temps, il faut leur dire : nous vous lisons. Nous sommes là. Et nous voulons comprendre.

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