J’ai vu «Marock». Il y avait comme un filet de curiosité qui me poussait à voir cet obscur objet de polémique. Celle-ci entourait le film, depuis le 8 éme Festival de Tanger, l’enveloppant dans un halo d’opprobre et une odeur de soufre. Hassan El Joundi n’avait-il pas lancé un communiqué pour le boycott de cette oeuvre. N’avait-il pas déclaré à son propos qu’«il faut lutter par tous les moyens contre cette dégénérescence culturelle qui affecte de plus en plus notre société» Un réalisateur marocain est allé plus loin.
Il a tout simplement décrété que le film n’était pas marocain sous prétexte que la réalisatrice vit et travaille à l’étranger. Si on part de ce principe, il y a trois millions de Marocains de l’étranger qui ont des soucis à se faire. Si ce n’est le paradoxe qui fait que dans le domaine artistique, toute polémique a quelque chose de bon…et génère de la pub gratuite, il y a lieu de s’alarmer lorsque dans une société, ce sont les artistes qui appellent à la censure.
Le film est un peu provoc. Et alors. Hormis quelques scènes timidement osées, où on ne voit rien et où l’essentiel est suggéré, mais qui sont bien en deçà de ce que regardent les Marocains, comme films pornographiques dans les chaînes «Multivision» dérobées et «derbghalefisées». Hormis quelque rares phrases crues, licencieuses et lestes, mais qui, toutefois, figurent parmi les mots les plus reproduits dans notre vocabulaire, il n’y a pas matière à scandale. Il est vrai que le mot «z…» semble plus obscène dans la bouche d’une adolescente de «bonne famille» que dans celui d’un voyou.
Dans son film, Leïla Marrakchi a choisi d’aborder l’adolescence des enfants des fortunes casablancaises. C’est une forme de critique sociale, entamée avec les bouts des doigts sur un pan de la société auquel s’applique rarement la critique sociale. Il y a bien eu un film sur «les enfants de la rue». Ici, avec Marock, on a affaire aux «enfants m’as-tu-vu». Le film est un traitement au laser de la jeunesse dorée de Casablanca. On y voit que rarement les parents. Les ados sont comme livrés à eux-mêmes protégés qu’ils sont par les murs des villas magnifiques, la gentillesse et la complicité du petit personnel. Ils s’adonnent à toute les transgressions: bouffer le Ramadan, les premiers flirts, la drogue et l’alcool, la flambe et les boîtes de nuit. La journée, on fréquente le lycée français. Le soir, on s’amuse.
Le thème universel et shakespearien de l’amour impossible est presque utilisé comme prétexte avec un trait forcé et surchargé sur le rapport entre la musulmane et le juif. Et c’est surtout cela qui lui vaut le ressentiment de ses détracteurs. Autrement «Marock» est un film gigogne. Il traite de plusieurs thématiques bien marocaines. Techniquement accompli, le film est audacieux. Le scénario est cependant fragilisé par les ridicules courses des voitures dans les artères casablancaises avec pour seul témoin la Mosquée Hassan II. Ces courses servent la fin du film mais en font un étrange mélange entre «La Boum» et le légendaire «La fureur de vivre». A part ça, «Marock» est bien marocain.