Chroniques

Quand tout nous offense, que reste-t-il du dialogue ?! Une sorte d’épidémie de l’indignation !!

Sophia El Khensae Bentamy | Consultante, coach et enseignante en techniques de communication, coach en psychologie positive et en thérapie par le rire.

Mieux communiquer, mieux vivre…

Spirale émotionnelle
Dans l’écosystème social marocain, où cohabitent traditions profondes et aspirations nouvelles, le vivre-ensemble est un défi quotidien. Il demande de sortir de la logique «eux contre nous», et d’apprendre à cohabiter sans toujours vouloir corriger ou censurer l’autre.

Il suffit d’une publication sur Instagram, d’un mot sorti de son contexte, d’un comportement jugé «différent» pour que l’indignation s’allume. Et c’est le déferlement : captures d’écran, commentaires acides, jugements tranchés, annulations publiques. On ne parle plus, on dénonce. On ne cherche plus à comprendre, on condamne. Le Maroc, comme beaucoup d’autres sociétés, semble pris dans une spirale émotionnelle où la moindre étincelle fait sauter la soupape du vivre-ensemble.
Ce phénomène de «colère sociale instantanée» n’est pas sans conséquence. Il affaiblit le tissu relationnel, creuse les écarts, et empêche tout dialogue serein. L’indignation, autrefois moteur de luttes justes et nécessaires, devient aujourd’hui une réaction quasi automatique, qui court-circuite la réflexion.
Or, dans une société plurielle comme la nôtre, cette réaction systématique à tout ce qui dérange ou interroge devient toxique. Que ce soit sur les réseaux sociaux, dans les conversations de quartier ou au sein même des familles, la tendance à la «réactivité émotionnelle» est des fois, voire souvent, débordante. On se sent offensé pour un rien. Un rire trop franc, une manière de s’habiller, un point de vue divergents, et l’autre devient une menace ou un ou une révolté(e) ou pire un ou une dévergondé(e)… Des fois voir souvent juste en osant être soi-même, un tout petit minimum de ce soi-même…
Il m’arrive dans mes ateliers de communication bienveillante ou de soft skills avec des jeunes ou moins jeunes, des cadres, ou même des parents, ou ailleurs dans la vie personnelle, de constater ce besoin viscéral d’avoir raison. On ne cherche plus à comprendre l’autre, mais à le faire taire. La peur d’être contredit prend le dessus. Le désaccord est vécu comme une attaque personnelle, et non comme une opportunité d’élargir sa vision. Et il peut en résulter des malentendus permanents…
Ce climat crée un malentendu permanent : entre générations, entre hommes et femmes, entre urbains et ruraux, entre tradition et modernité. Chaque camp campe sur ses certitudes, prêt à dégainer sa «vérité» et à dénigrer l’autre «vérité» celle de l’autre.
Et pourtant, comme l’écrivait si justement la philosophe française Cynthia Fleury : «S’indigner, c’est bien. Comprendre, c’est mieux.»
Car comprendre ne veut pas dire être d’accord !!
Cela veut dire reconnaître que l’autre existe, avec son histoire, son ressenti, ses raisons. Cela veut dire admettre qu’il peut y avoir plusieurs façons d’être marocain et d’être marocaine, plusieurs manières de participer à la réussite à notre vivre- ensemble, de rire, d’éduquer, d’y croire…
La dynamique actuelle renforce une logique binaire : il y aurait d’un côté les bons, qui défendent les «valeurs», et de l’autre les méchants, ceux qu’on accuse de tout, d’être trop libres, trop modernes, trop étrangers, ou au contraire trop conservateurs, trop religieux, trop fermés. Le fameux et si simple, piège des «bons contre les méchants» !
Mais cette simplification du réel est une impasse. Elle nous empêche de voir la richesse des nuances. Elle transforme des différences légitimes en conflits inutiles. Elle nous enferme dans des étiquettes réductrices.
Dans l’écosystème social marocain, où cohabitent traditions profondes et aspirations nouvelles, le vivre-ensemble est un défi quotidien. Il demande de sortir de la logique «eux contre nous», et d’apprendre à cohabiter sans toujours vouloir corriger ou censurer l’autre.
Car si chacun se sent offensé par la simple existence de l’autre, comment allons-nous bâtir une société durable ?! Par ses simples choix, goûts, rêves, préférences… Si le désaccord devient impossible, c’est le débat même qui disparaît, et la pensée critique qui s’appauvrit et donc la créativité, l’innovation… Cultivons la diversité… Communiquons-la et vivons-là ! C’est notre force, la force marocaine…
Et si nous avions besoin d’une éducation émotionnelle collective ?! D’un apprentissage de l’écoute, de la nuance, de la patience dans la relation ?! C’est ce que j’appelle, dans mes formations et chroniques, une compétence sociale vitale. C’est celle-là même notre compétence à développer…
L’indignation n’est pas à diaboliser en soi. Elle est même parfois salutaire. Mais elle ne peut être une posture permanente. Il faut lui adosser la réflexion, la connaissance, et surtout le respect de l’altérité.
Comme le disait Nelson Mandela, «Aucun de nous, en agissant seul, ne peut atteindre le succès.»
Il en va de même pour la paix sociale. Elle ne se construit pas dans les likes et les clashs, mais dans les échanges, les silences qui écoutent, les mots qui rassemblent.
Face à la tentation de s’emporter, de répondre immédiatement, de juger sans recul, faisons le choix conscient de ralentir. De poser des questions avant d’émettre des conclusions. De créer un espace de respiration dans la conversation. D’offrir à l’autre le bénéfice du doute. Choisissons de ralentir, voilà une bonne inspiration et une solide expiration et le tour est joué…
Ce n’est pas faire preuve de faiblesse. C’est faire preuve d’intelligence, d’intelligence sociale, collective, et communicative… Et, c’est la seule voie pour construire un vivre-ensemble digne de ce nom.
Dans un Maroc où les défis sont immenses, économiques, sociaux, éducatifs, nous ne pouvons-nous permettre de gaspiller notre énergie dans des guerres de mots. Réapprenons à parler, à nous écouter, à débattre sans nous diviser.
Cela commence par une question simple, que chacun peut se poser avant de réagir:
«Suis-je en train d’attaquer, ou de chercher à comprendre ?»
La réponse à cette question pourrait bien transformer notre manière de communiquer… et de vivre ensemble.
Et surtout ne pas oublier mon slogan et celui de nos chroniques : Mieux communiquer, mieux vivre !!!

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