Les certitudes construites sur la rumeur, sur la désinformation, sur la calomnie, sur les mensonges, sur les racontars et les discussions de café, ont la peau dure. Quand on y pense profondément, la raison est simple: on n’a pas appris à applaudir quand ça va bien.
Pourquoi de plus en plus de Marocains versent dans le négationnisme le plus fataliste balayant tout ce qui est bon et bien dans leur pays d’un simple revers de la main ? Pourquoi sommes-nous défaitistes à ce point où rien ou presque ne trouve grâce à nos yeux ? Pourquoi une large majorité de nos concitoyens ont définitivement adopté la posture de celui qui ne voit que le mauvais partout ? Pourquoi, en dépit de toutes les bonnes choses qui ont lieu dans ce pays, encore cette écrasante majorité qui trouve constamment à redire, surtout ? Pourquoi autant de négativité, à tous les étages et à tous les égards ?
La question s’impose sérieusement face à une catégorie sociale qui ne voit que le négatif dans tout ce qui est entrepris dans ce pays. Face à cette manie que nous avons, presque tous, à tout critiquer et de trouver à redire sur tout, comme si nous avions, tous, la science infuse, comment faire entendre raison à des gens qu’aucune raison ne peut faire changer d’avis, tant il est vrai que pour ceux qui croient aucune preuve n’est nécessaire et pour ceux qui ne croient pas aucune preuve n’est suffisante. Pour saisir l’ampleur de ce phénomène très contagieux, voici quelques exemples que je partage avec vous pour définir les contours de ce fatalisme à la Marocaine. Empruntant la sortie de la ville de Casablanca vers l’aéroport Mohammed V, une conversation avec une connaissance risque de tourner au pugilat. «Tous ces travaux font changer le visage de la ville.
C’est une bonne chose pour le pays», dis-je, avec un brin de fierté. La riposte était inattendue : «Tu te fous de moi, toi! On n’a pas besoin de tout ça ! C’est l’argent des pauvres qui est volé pour construire des routes et des ponts, et toi, tu me dis que c’est une bonne chose !», le tout avec colère et une agressivité qui monte crescendo. Un moment de silence. Puis, il embraye : «Qu’est-ce que j’ai gagné, moi, avec ces routes, ces stades, ces immeubles et tous ces chantiers ? Tu peux me le dire, toi ? Rien. Je n’ai rien gagné. Nous y avons tous perdu, et gros, si tu veux le savoir », assène-t-il avec virulence comme s’il avait un vieux compte à régler avec tout le monde. Je risque une parade : «Demain, dans dix ans, dans vingt ans, tes enfants vivront dans un pays bien construit, avec de grandes infrastructures, avec des cités modernes, avec des routes dignes de ce nom, avec des stades, des théâtres, des musées, des universités qui peuvent rivaliser avec les meilleurs, avec des quartiers propres et agréables à vivre, avec des corniches verdoyantes et reposantes, avec des trains, des gares, des aéroports de grande qualité…
Tout ça ne peut être que bon et bénéfique à ton pays et au mien, cher compatriote». Le bonhomme me toise d’un regard mauvais et dégoupille : «ce sont des gens comme toi qui encouragent tout ce bazar qui nuisent à des gens comme nous. Nous, on veut le Maroc d’hier, sans routes, sans rien, mais un pays où on peut faire de l’argent, manger et boire et ne s’occuper ni de la Coupe du monde, ni de l’Afrique ni de rien. Tout ça c’est une perte de temps et d’argent qui ne sert à rien», conclut-il, avec satisfaction. Pour rappel, cet homme est enseignant dans une faculté. Inutile de vous le décrire davantage. La messe est dite.
Ailleurs, une autre conversation avec un type, comme ça, de but en blanc, débouche sur les lignes du Tramway de Casa qui sont une «calamité» selon lui. J’ose une réplique, du genre : «Non, le tramway a aidé des millions de Casablancais en facilitant leurs vies». Le mec fulmine. Il est passé d’une simple discussion sans enjeux à celui qui défend une grosse paroisse pour une question de vie ou de mort. Le type m’accuse, sans sourciller, que j’étais à la solde de ceux qui ont monté le projet du Tram. «J’aurais aimé, mon ami, mais je n’ai pas eu cette chance. Au moins j’aurais gagné un peu de sous». Je dis cela pour apaiser l’atmosphère avec ce bougre qui s’enflamme. Rien n’y fait. Le type est remonté à bloc. Il veut en découdre. «Tout va mal dans ce pays. Le Tram une catastrophe, le TGV une calamité et tous les projets qui vont naître le seront aussi».
Rien que cela ! Tout est condamné d’avance. Aucune chance de laisser faire, de se sentir un tant soit peu optimiste en se disant : «Voilà cela de gagné, on verra ce que nous aurons après le Tram, après le TGV, et pourquoi pas d’autres projets immenses qui vont changer la face du pays». Idem pour les travaux sur les autoroutes, les stades, les avenues, les espaces verts, les nouvelles lignes ferroviaires, les projets structurants, les infrastructures de dessalement de l’eau de mer, la protection des biens publics sur le littoral, la réhabilitation de certains quartiers délaissés… Rien n’est bon, selon une majorité de ceux qui critiquent tout et trouvent à redire sur tout.
«Tout va mal . «Il n’y a que des voleurs dans ce pays». «Ce pays donne tout aux barons de la drogue, aux homosexuels et aux prostituées». «Ce pays appartient à une mafia». «Nous sommes condamnés à être pauvres alors que les autres volent le pays et s’enrichissent».
La liste des assertions de cet acabit est très longue.
C’est le credo d’une grande majorité de nos concitoyens qui lancent des accusations à tout-va, qui insultent tout le monde, qui colportent de fausses vérités et qui sont convaincus d’avoir la parole sainte. On a beau leur expliquer que, pourtant, il y a du bon dans ce pays, qu’il y a de nombreuses personnes qui travaillent pour le bien de tous, qu’il y a de véritables patriotes dans ce pays, qu’il y a des personnes qui rêvent d’un Maroc encore plus conquérant et plus rayonnant, rien n’y fait. Les certitudes construites sur la rumeur, sur la désinformation, sur la calomnie, sur les mensonges, sur les racontars et les discussions de café, ont la peau dure.
Quand on y pense profondément, la raison est simple: on n’a pas appris à applaudir quand ça va bien. On a juste grandi dans une société qui, souvent, avouons-le, peint tout en gris, sinon en noir, et nous sert un pessimisme de mauvais aloi. Comment combattre une telle pathologie sociale ? Je ne le sais pas encore, mais si vous avez une idée, je suis preneur au cas où je retombe sur mon ami survolté, je pourrai lui glisser un mot.














