Abdelaali est d’origine marocaine, plus exactement de Zagora. Père, oncle, et grand-père ont longtemps travaillé dans les mines de charbon dans le Nord de la France. Ses expériences professionnelles et son propre vécu, mis à rude épreuve, très jeune suite à un très grave accident lui causant des brulures sur 70% du corps ont très vite donné un sens exact à la mission de l’homme. Créer des projets d’impact au service des autres en était le principe. Et c’est ainsi que l’association Banlieues Santé nait en 2018. Aujourd’hui, le militant est déterminé à s’impliquer au Maroc pour contribuer à enrayer les inégalités sociales. Travailler la main dans la main avec les pouvoirs publics, telle est sa philosophie. Échanges poignants.
Parlez-nous des faits marquants de votre vie qui ont orienté votre trajectoire ?
Abdelaali Al Badaoui : Je viens d’un parcours marqué par la dignité de mes parents, originaires de Zagora. Très jeune, j’ai été confronté aux inégalités mais aussi à des épreuves personnelles. J’ai été victime, en effet, d’un grave accident domestique à l’âge de 6 ans qui a brûlé 70 % de mon corps. Une dyslexie non diagnostiquée a également rendu difficile ma scolarité. Mais ces expériences m’ont forgé. Elles m’ont donné la conviction que la résilience et la solidarité peuvent transformer la douleur en force. Mon engagement pour la justice sociale vient de là: permettre à chacun d’avoir les mêmes capacités, quel que soit son milieu ou son origine. Mon père, mes oncles et mon grand-père, tous touchés par l’amiante et la silicose, m’ont aussi marqué dans ma jeunesse. J’ai voulu transformer toute cette colère en moi par rapport à toutes ces injustices en solutions. Et c’est ainsi que très jeune, j’ai démarré ma carrière dans le milieu hospitalier en tant qu’homme de ménage pour évoluer vers le métier d’infirmier sans baccalauréat.
En 2018, vous avez créé Banlieues Santé en France. Pourriez-vous nous en dire davantage ?
L’idée de Banlieues Santé remonte à mes premières années comme infirmier. L’idée a été fortement motivée par plusieurs raisons : déjà mon propre accident de vie, la souffrance de mes aînés malades, les quartiers populaires où j’ai constaté combien l’accès aux soins, à l’éducation ou à l’emploi restait inégal. L’association est née d’un constat simple : le lieu où l’on naît ne doit pas déterminer l’avenir d’une personne. Depuis, nous construisons un écosystème solidaire réunissant associations locales, institutions privées et étatiques et bénévoles. Le but étant d’accompagner les plus vulnérables dans tous les aspects de leur santé avec cette vision holistique de la santé. De cette manière, chacun pourra prendre conscience de sa santé. J’ai aussi cofondé plusieurs organisations comme Banlieues School ou Banlieues climat qui ont toutes un succès florissant.
Le succès de vos actions vous a valu le Prix citoyen européen en 2020. Est-ce le déclic qui vous a motivé à aller plus loin ?
Recevoir ce prix a été un moment fort. Il symbolisait une reconnaissance européenne de notre action. Plus qu’un déclic, c’est la conviction que notre modèle peut inspirer d’autres écosystèmes notamment au Maroc et en Afrique. C’est ce qui m’a poussé à franchir une nouvelle étape.
Aujourd’hui, vous avez décidé de développer des missions similaires dans votre pays d’origine, le Maroc. À quelle étape en êtes-vous et quelles sont les prochaines actions?
Nous avons déjà tissé des liens avec des associations et institutions marocaines. Nos premières actions portent sur la santé communautaire. Nous lançons depuis le précèdent tremblement de terre des projets dans certaines régions pour adapter notre approche aux réalités locales, avant un déploiement à plus grande échelle. Chaque fois où nous allons, la concertation est nécessaire avec les collectivités, les autorités ou les acteurs locaux pour avoir une efficience évidente de l’action sur le terrain.
Vous visez aussi l’Afrique dans son ensemble. Comment comptez-vous vous y prendre ?
L’Afrique est un continent de ressources et de talents. Notre approche repose sur la co-construction. En clair, il s’agira de travailler avec les communautés locales, former des leaders et bâtir des modèles reproductibles. Nous ne venons pas avec des solutions toutes faites mais avec une méthode qui s’adapte aux réalités de chaque territoire. Elles s’appuient, en effet, sur les actions des acteurs locaux. Nous bénéficions aussi de l’appui de la diaspora marocaine qui souhaite agir en faveur de leur pays d’origine. Nous pensons que le modèle marocain peut être un cas d’école transformateur.
Les levées de fonds sont essentielles. Quelle est votre démarche pour y parvenir ?
Nous avons trois piliers: confiance, transparence et impact mesurable. Chaque projet doit prouver son efficacité, afin que nos partenaires – entreprises, institutions, philanthropes – voient concrètement l’effet de leurs contributions. Nous avons l’appui de grands groupes, de institutions mais aussi de la générosité du public qui est très importante pour nous.
Vous avez été invité à la Fête du Trône. Qu’a représenté ce moment pour vous?
Ce fut un moment de fierté et d’émotion. Cet événement symbole d’unité nationale a renforcé mon attachement au Maroc. Plus qu’un honneur, c’est une responsabilité. Il s’agira de contribuer activement au développement social de mon pays. Le rêve de nos parents était de revenir dans leur terre natale. Je pense que nous sommes la continuité de ce rêve pour contribuer à construire l’avenir du pays et du continent dans son intégralité.
Quels sont, selon vous, les ingrédients pour qu’une initiative caritative fonctionne ?
Trois mots: écoute, proximité, rigueur. La démarche est d’écouter les besoins réels des populations, être sur le terrain et gérer les projets avec exigence. La solidarité ne doit pas être un geste ponctuel mais un levier durable de transformation sociale pour un impact systémique de l’action. Ce n’est que de cette manière que les populations pourront accéder à des solutions et agir sur les inégalités sociales.
Le mot de la fin…
Je rêve d’un monde où la solidarité dépasse les frontières. Mon parcours est la preuve que la résilience et l’engagement collectif peuvent transformer des vies. Chacun peut agir à son échelle, et c’est ensemble que nous bâtirons des sociétés plus justes et inclusives.













