Même si la surprise n’eut pas la dimension attendue, le «Breaking News » que la diplomatie américaine promettait pour la région a eu lieu. Avec une dose raisonnable d’hésitation, de mise en scène. Juste ce qu’il faut pour en suggérer l’importance. Il prit pour théâtre le forum diplomatique de Sharm Sheikh où les pays voisins ainsi que de nombreuses organisations internationales étaient convoqués au chevet d’un pays, l’Irak, déstabilisé par une occupation sans fin, à la paix civile agonisante. Après de multiples hésitations et des démarches contradictoires, l’Administration Bush a tenté de dégeler ses relations avec le régime syrien.
Cette sortie américaine prit la forme d’une rencontre d’une demi-heure aussi brève qu’intense, aussi médiatiquement peu discrète que furtive, entre la secrétaire d’Etat Condoleezza Rice et son homologue syrien Walid Al Moallem. La première à ce niveau des officiels depuis la visite de Collin Powell à Damas en 2004. C’est dire l’éternel hiver qui a marqué les relations entre Américains et Syriens.
Brève rencontre mais intense polémique. D’abord à Washington où les démocrates, les tous nouveaux maîtres du Congrès américain, ont sorti la grosse artillerie de la dénonciation et de l’indignation. «J’apprécie le fait que cette administration, si prompte à critiquer ceux d’entre nous qui ont rencontré des dirigeants syriens, ait finalement décidé de prendre cette initiative diplomatique», avait ironisé l’ancien challenger de George Bush, John Kerry.
La présidente du congrès, Nancy Pelosi tremble encore de colère en se rappelant la tornade politique qu’avait provoquée sa visite à Damas et sa rencontre avec le président Bashar al Assad ainsi que les mots durs utilisés par le vice-président Dick Cheney «mauvaise conduite» («bad behavior») pour qualifier ce déplacement.
L’Administration Bush avait rencontré d’énormes difficultés à trouver les subterfuges pour justifier cette volte-face. L’accent était davantage mis sur le côté «professionnel», voire utilitaire de la rencontre visant à exiger de la Syrie qu’elle contrôle ses «frontières poreuses» avec l’Irak pour empêcher les «combattants étrangers» de «se déverser sur ce pays» et y «commettre des attentats-suicides», pour reprendre les dénominations sécuritaires établies.
Ce revirement américain à l’égard de Damas a suscité de nombreuses interrogations sur la nouvelle stratégie de Washington dans la région : s’agit-il pour elle, comme la soupçonnent de nombreux observateurs, de tenter une ouverture obligée sur Damas pour mieux isoler et contenir les ambitieux dirigeants iraniens ? Ou bien l’impasse militaire et politique américaine en Irak est à ce point désespérante pour appeler à l’aide les adversaires d’hier ?
Et les interprétations vont bon train sur les éventuelles concessions que Washington va devoir faire pour établir une langue utile avec Damas. La plus percutante concerne la volonté franco-américaine de mettre sur pied, par un vote onusien, un tribunal international chargé de juger les assassins de l’ancien Premier ministre libanais, Rafic Hariri, que Paris et Washington soupçonnent de résider à Damas.
Ce projet commence à être présenté par de nombreux éditorialistes américains comme davantage une obsession chiraquienne qu’une exigence américaine. Chirac étant sur le point de quitter la scène politique française et internationale, ce tribunal international, qui devait en principe couronner les retrouvailles entre Paris et Washington, serait en train de perdre et de son magnétisme et de son urgence. De là à penser que la diplomatie américaine pourrait être tentée par un grand deal («The great bargain») avec Damas dans lequel et contre une réintégration de la Syrie dans la dynamique régionale et une levée de pression politique et économique, une déprogrammation opportune de ce tribunal serait annoncée… L’idée ne semble plus provoquer de grands émois au sein du landernau américain le plus néoconservateur… Celui là même qui, il ya encore quelques courtes années encourageait rageusement les tanks américains, qui avaient victorieusement marché à travers Bagdad, à tracer leur route vers Damas.