«Les origines de la crise dans les relations maroco-algériennes» * de Zaki Moubarak encore. La somme de documents qu’il présente mérite un traitement autre que sommaire. Qu’il s’agisse de correspondances entre les différents protagonistes, des rapports des services diplomatiques et consulaires de la France, des notes des services français (SDEC), d’accords et communiqués communs des mouvements nationaux maghrébins livrés par l’ouvrage à la saine curiosité du public permettent d’appréhender comment a évolué «l’amitié ombrageuse», au point d’en être tumultueuse, entre les deux peuples.
Pour ne retenir que le siècle et quart qui nous sépare de la bataille d’Isly, on notera bien entendu qu’une brève guerre frontale et une autre, beaucoup plus longue, par Polisario interposé ont opposé les deux pays. Mais la solidarité marocaine à l’égard de l’Algérie dans ses conflits avec des parties tierces ne s’est jamais démentir. Que se soit le Maroc officiel ou le Maroc populaire, de la bataille d’Isly en 1884 à la guerre de libération déclenchée en 1954, bases de repli stratégique, hommes et matériels de guerre n’ont jamais fait défaut. La cinquantaine de notes du SDEC témoigne de la bienveillance dont jouissent les éléments du FLN et de l’ALN sur le territoire marocain. Une lettre de Mohamed Boudiaf, l’un des historiques du FLN, souligne cette solidarité. «L’attitude du Maroc à l’égard de la rébellion est en train de se modifier radicalement dans le sens d’une coopération active» relève en 1958 une fiche du deuxième bureau de l’armée française qui détaille les moyens dont disposait le FLN sur le sol marocain. Une lettre, en date de 1957, de l’ambassadeur français à Rabat, Roger Seydoux, à son ministre des Affaires étrangères rapporte les propos que lui tient feu Hassan II alors prince héritier : «nous devons soutenir le peuple algérien dans une phase décisive de sa lutte» même si cela devait «impliquer une révision radicale de toutes les relations franco-marocaines». Des exemples comme ceux-la pullulent dans l’ouvrage.
Que du beurre et du miel alors entre Marocains et Algériens tout au long de cette période ? Nullement. De part et d’autre interviennent les vicissitudes du quotidien, les contradictions propres à chaque camp, les susceptibilités des personnes, parfois la rouerie humaine. Pour les Marocains, il y a à cette époque deux types d’Algériens. Les «deuxièmes francisses». Ils travaillent dans la police, traducteurs entre le colon et l’indigène ou encore auxiliaires dans les «bureaux arabes». Ils posent sur le Marocain un regard bleu aux cils blonds. «Ils étaient très satisfaits de leur qualité de Français […] préoccupés le plus souvent de se distinguer du monde marocain» écrit un chargé d’affaires français. Les seconds se sont les gens du FLN, on les admire, on les soutient sans réserve. Naturellement, la présence armée sur le territoire national crée des tensions mais jamais au point de celles qu’a créées la présence palestinienne en Jordanie et au Liban. Bien sûr, le gouvernement marocain doit tenir compte des pressions françaises. Il arrive aussi qu’un nationaliste de l’Istiqlal parte avec les armes et l’argent des armes. Mais la collaboration entre les deux mouvements nationaux est une constante, le soutien de l’Etat une permanente. Au point que l’on n’ose imaginer la sédimentation des rancœurs qui tient lieu de culture commune à nos deux pays. A moins de s’en remettre définitivement au fameux aphorisme de de Gaulle : les Etats n’ont pas d’amis, que des intérêts.
* Edition Bouregreg













