La bataille des législatives a été lancée officiellement hier alors que les canons fument encore dans les QG des partis politiques et que l’odeur du plomb remplit encore l’atmosphère des états-majors de campagne. Objectif ultime pour les uns comme pour les autres s’emparer du maximum des sièges de l’Assemblée nationale. Pour Nicolas Sarkozy, qui s’attend à ce que les Français lui confirment leur confiance du 6 mai dernier en lui octroyant une majorité parlementaire confortable, son argument électoral, efficace et imparable, se trouve dans la physionomie de son gouvernement que dirige le cérébral introverti François Fillon. Un cocktail d’ouverture calculée, de séduction conquérante et de communication tous azimuts.
En nommant une Française d’origine arabe et musulmane, Rachida Dati, à la tête d’un ministère régalien alors que ses prédécesseurs s’étaient contentés, de peur de ne pas bouleverser ce qu‘ils considéraient comme le partage naturel des responsabilités, de «l’arabitude de service», Nicolas Sarkozy innove avec courage. En faisant mine de confier les rênes de sa diplomatie à une célèbre personnalité de gauche, Bernard Kouchner, qui n’est d’accord avec lui ni sur la manière de gérer la présence militaire française en Afghanistan, ni sur l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, encore moins sur les questions cruciales de l’immigration, il augmente son bonus tolérance. En ouvrant son gouvernement à des personnalités centristes ou marquées à gauche, il se débarrasse à bon compte d’une réputation de sectaire qui lui colle à la peau. En réalisant une parité gouvernementale homme-femme presque parfaite, il donne volontairement un coup de vieux à tous ses prédécesseurs.
Pour le Parti socialiste dont la préoccupation majeure, outre de survivre à l’échec des présidentielles, est de limiter les dégâts, l’heure est à la recherche d’arguments pour empêcher un raz de marée de l’UMP qui donnera au nouveau président tous les instruments de créer l’Etat-Sarko, tant craint. La sonnette d’alarme est tirée par le premier secrétaire du PS : «On a un pouvoir qui veut écraser, qui veut dominer, qui veut avoir tous les leviers de commande, il y a péril et il y a urgence». Mais le parti socialiste affaibli par ses déchirures internes semble avoir du mal à mobiliser sur la diabolisation de Sarkozy, cette exercice ayant atteint ses limites quand, pendant la présidentielle, les électeurs avaient à se décider d’avantage sur le profil individuel et le tempérament du candidat. Maintenant qu’il faut choisir une architecture de pouvoir, miser sur l’appétit du pouvoir exclusif du nouveau président comme unique contre-argumentaire ne résonne pas assez. Même les plus optimistes des socialistes ne croient pas à un scénario de cohabitation politique où la gauche pourrait faire des merveilles lors de ces législatives en empêchant le Palais de l’Elysée d’annexer politiquement le Palais-Bourbon. La proximité entre présidentielle et législatives est trop étroite. Le nouveau pouvoir n’a eu le temps ni de subir l’usure du temps ni de dévoiler son vrai visage de «droite décomplexée» comme diraient ses détracteurs. L’enjeu pour les socialistes est de pouvoir traduire le plus efficacement possible les 47% réalisés par Ségolène Royal au sein de la future Assemblée nationale.
Pour le centriste François Bayrou, qui fut la grande surprise du premier tour, une attention particulière est portée à son nouveau-né «le Mouvement démocrate» baptisé «le Modem». Lancé dans l’euphorie de la surprenante percée centriste qui avait coïncidé avec le déclin du Front National, le Modem se voulait un instrument de conquête du pouvoir législatif. Outre que la démarche d’ouverture prônée par François Bayrou a été temporairement démodée par l’ouverture réelle pratiquée par Nicolas Sarkozy, nombreux sont ceux qui s‘interrogent sur la capacité du tout nouveau Modem à avoir l’échine suffisamment solide pour supporter la dure loi du scrutin majoritaire à deux tours.
C’est dire à quel point le boulevard est grand ouvert devant Nicolas Sarkozy pour cueillir dans une totale sérénité une majorité confortable à l’Assemblée nationale. Les moins défaitistes à gauche pourront se réconforter en se disant que, heureusement, la politique n’a jamais été une science de prévision exacte.