Il n’y a pas plus grande angoisse et pire lassitude pour un commentateur que la sensation de se répéter. Alors, j’évite les écueils, du moins j’essaye, et je réussis plus ou moins à me bercer de l’illusion d’émettre une idée nouvelle, même quand elle n’est pas bonne ou juste, à croire que j’ai réussi un jeu de mot même quand il n’est pas d’un goût certain, et bien négocié la tournure d’une phrase même si elle ne plaît pas à tout le monde. Je passe, difficilement il est vrai, entre les gouttes de la reproduction sauf quand je dois écrire sur les rapports maroco-espagnols. Depuis que le roi Juan Carlos a effectué une visite à Sebta et Melillia, je rongeais mes freins, fatigué de me redire sur plus d’un quart de siècle. J’ai changé d’attitude lorsque j’ai vu à la télévision le monarque espagnol quitter une grande messe latino-américaine pour protester contre la remise en cause de l’ancien Premier ministre espagnol, José Maria Aznar, par le président vénézuélien Hugo Chavez. Si le roi d’Espagne s’est senti, pour si peu, attaqué dans sa dignité personnelle, comment un Marocain ne se sentirait-il pas atteint dans son intégrité physique et territoriale par la visite de Juan Carlos aux deux villes marocaines occupées.
«Si l’on devait hâtivement qualifier les rapports entre le Maroc et l’Espagne, on serait tenté de conclure à la crise permanente qui leur est devenue une seconde nature. La volonté politique déclarée de coopérer chevauchant la multitude de points de divergences entre les deux capitales, ces relations ont été de tout temps une perpétuelle alternance d’accalmie et de confrontation économique, politique et militaire.» Ainsi, quels que soient les efforts, «les relations entre Rabat et Madrid restaient marquées par le sceau de l’ambiguïté et de la méfiance […] Les déclarations idylliques, les visites mutuelles n’arrivent pas à empêcher les divergences de remonter cycliquement à la surface. Avec en toile de fond […] Sebta et Melillia, le Sahara, la pêche […] La préservation de cette mentalité chez les Espagnols et le maintien de leur position sur ces «présides» font paraître à l’Espagne les rapports avec le Maroc sous l’angle de la confrontation.» Ce texte, je l’ai écrit il y a vingt ans dans Lamalif*. A-t-on besoin de l’amputer d’une virgule ou d’y ajouter un point pour le rendre d’actualité?
Le général Franco a transformé l’Espagne. La démocratisation et sa movida après sa mort en ont bouleversé le paysage. Tout y a changé. Sauf son regard sur le Maroc. Dans son discours de Fès, en juin 1979, le roi Juan Carlos ne manquait pas de le relever en s’élevant contre le mur d’incompréhension et en exhortant Marocains et Espagnols à une meilleur connaissance tant est grande l’ignorance réciproque qui est la nôtre. «Débarrassons nos esprits, s’était-il écrié, d’images fausses, d’idées reçues et de simplifications qui, parfois, réduisent nos connaissances mutuelles à de vulgaires clichés». Y a-t-il un seul Espagnol éclairé pour ne pas reprendre à son compte ce discours aujourd’hui ? Assurément aucun! Mais que font-ils juste après ?
Le contraire. C’est Lavoisier revu et corrigé. Dans les relations de Madrid avec Rabat, rien ne se perd, rien ne se crée, rien ne se transforme. Pourtant, il y a longtemps que le Maroc a offert aux Espagnols le cadre d’une bonne résolution des problèmes en suspens : la satisfaction des droits imprescriptibles du Maroc contre la garantie des intérêts vitaux de l’Espagne.
* Avril 1987














