Chroniques

De toutes les couleurs : Le fantôme du papier-peint

© D.R

À quoi pense un artiste au moment où il décide de créer ? Pense-t-il uniquement à son art ? Ou alors, pense-t-il à la fois à son art et au jugement des autres ? Ou encore, peut-être pense-t-il uniquement aux autres ?
À quoi pense un peintre lorsqu’il est face à une toile vierge ?
Pense-t-il à exécuter ce qu’il voit avec une précision photographique ? Ne négliger aucun détail ? Se concentrer uniquement sur sa technique ? Le faire uniquement par amour, même si ce n’est plus à la mode? Ou peut-être pense-t-il reproduire sur la toile le résultat plus ou moins fidèle de ses voyages imaginaires aux sources de ses émotions ? Pense-t-il uniquement à souligner son don de faire percevoir l’invisible, l’impalpable, l’essence de son monde intérieur ? Laissant ses mains exécuter sa volonté, réaliser sa vision sans faux lyrisme ?
Pense-t-il travailler sans penser au marché? A l’argent ? Sans se poser de fausses questions, en créant avec franchise et humilité ? Sans se soucier du jugement des gens ? Se convainc-t-il que le travail authentique et honnête finit toujours par payer -même si cela arrive parfois trop tard? Pense-t-il que la mode est l’opposé de l’originalité et de la créativité, laissant ainsi libre cours aux critiques d’art qui bâtiront peut-être des schémas pour situer son art dans telle ou telle influence ou courant en “isme”? Ou carrément, lui en inventer un sur-mesure? Ou alors, pense-t-il aussi au jugement des gens ? Se disant qu’il devrait continuer à se faire plaisir, être authentique tout en pensant à la mode, aux courants artistiques de son époque, à ceux qui vont juger son œuvre ? Aux potentiels acheteurs ? Leur faire plaisir en adaptant quelque peu ses idées, ses compositions et ses couleurs à leur goût ? Une sorte de compromis économico-artistique ! Pense-t-il que pour préserver la moitié de sa liberté, il doit sacrifier l’autre aux caprices du marché? Continuer à créer semi-librement en quelque sorte ?
Ou encore, pense-t-il uniquement aux autres, ne créant que pour vendre ? S’affranchissant de toute culpabilité artistique lourde à porter ? N’ayant cure de l’originalité, la créativité, l’authenticité, et tous ces autres mots en “ité” qui ne sont bons que pour les rêveurs ?
Pense-t-il aux draperies, aux tapisseries, aux meubles et aux larges murs des somptueuses demeures ? Celles des gens et des organismes capables de s’offrir ses œuvres? Pense-t-il utiliser des couleurs “épices” pour assortir avec les rideaux des maisons traditionnelles? Ou peut-être des pastels pour accompagner la dernière mode ? Pourquoi ne pas tout badigeonner de blanc ou blanc cassé pour assortir son œuvre avec la majorité des murs de ces mêmes glorieuses demeures? Ramener son œuvre à la fonction que je qualifierais de “papier-peint” de luxe?
L’artiste sait que la mode est, par définition, condamnée à mourir et que seul l’Art est immortel, mais saura-t-il vaincre ce fantôme qui rôde partout : celui de l’œuvre papier-peint ?

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