L’un des journaux de la place l’a littéralement encensé ne serait-ce qu’en l’exhibant, comme un trophée, à la Une. Un autre, avocat patenté du pays, l’a incendié avec littérature. C’est faire trop d’honneur à une peccadille. Sans compter que tout ce qui est excessif est insignifiant.
Un discours ou une posture tirent la crédibilité de ceux qui les profèrent, certes. Mais ils la tirent aussi à partir des lieux d’où ils sont émis. N’est pas Paris qui veut. N’est-ce pas. Et Doha est loin de Paris. D’être Paris. Et pas seulement parce qu’il lui manque la Seine ou le Louvre.
On peut jouer, à partir de Paris, le rôle du secouriste universel de la liberté de la presse. Le pompier mondial du droit à l’opinion, le Caudillo de la plume affranchie. On peut même le faire en commettant quelques imprudences, mensonges ou désinformations. Il y aura toujours les atours, la magie, l’histoire et la crédibilité de Paris qui participeront, tels des écrins luxueux, à la mise en valeur d’une posture ou d’un principe. C’est autre chose que de le faire à partir de Doha. On a beau y résister, on ne peut s’empêcher de penser à ce qui départage ces deux espaces : Le rapport à l’argent, au flouze, à la thune, le pognon, le veau d’or, la gamelle…. le bakchich. «L’argent qui corrompt, l’argent qui achète, l’argent qui écrase, l’argent qui tue…», disait le candidat Mitterrand avant d’y goûter en tant que président. Entre Paris et Doha, c’est le pétrodollar qui désormais départage le pompier «bénévole» d’un mercenaire quand bien même il est au service de la liberté.
Cela ne tient pas la route de donner des leçons à tout le monde arabe, qui en a bien besoin, à partir d’un pays où on pratique encore la flagellation. Où la modernité des tours pharaoniques dissimule mal les pratiques les plus archaïques et où même monsieur Ménard a besoin d’un tuteur (kafil) pour y résider. C’est intenable. La contradiction, même à forte dose, a des limites. Et Ménard, nouveau vigile, sultan ou vizir de la presse arabe est obligé à des mignardises pour le pays qui l’héberge, lui et Al Jazeera. Pour averti qu’il est, il n’est pas sans ignorer que celui qui paie l’orchestre impose les mélodies. Et sa nouvelle djellaba soyeuse, troquée contre sa tenue de combat, assombrit déjà sa mission messianique. Le saint protecteur des reporters est en passe de devenir petit rapporteur devant l’éternel. Avec RSF, il était le dynamo d’une force de frappe. A Doha, il finira fatalement comme une petite frappe.