Jésus est-il né dans une étable comme le racontent les Evangiles, ou bien sous un palmier comme le dit le Coran? Pourquoi cette différence entre les deux récits? On peut faire ainsi une longue liste de toutes les questions qui se posent aujourd’hui au sujet de différents évènements de notre mémoire religieuse. La plupart des croyants diront : «Si c’est écrit, c’est vrai! La Parole de Dieu ne peut dire des choses fausses!». Mais qu’est-ce que la vérité en matière d’histoire?
Depuis le XIX ème siècle, nous avons une conception de l’histoire qui n’est pas celle qui a prévalu précédemment. Pour les hommes d’aujourd’hui, l’histoire doit être «scientifique», c’est-à-répondre à des critères de réalité absolue, avec des faits vérifiables par des preuves. Or ce n’était pas le cas dans les siècles qui ont précédé, où l’histoire a été considérée d’abord sous un angle littéraire et apologétique. Certes, l’histoire du passé s’est généralement appuyée sur des évènements qui s’étaient produits ( par exemple : une catastrophe naturelle de grande ampleur, ou encore un événement libérateur, ou une victoire militaire qui avait eu lieu ). Mais ce qui a longtemps préoccupé les «collecteurs» d’histoire, plus que les faits précis et réels, c’était de mettre en évidence ce qui pouvait parler à l’intelligence comme à l’inconscient collectif des peuples. Les historiens d’autrefois n’étaient pas mus par un souci d’exactitude factuel, mais par celui de composer de beaux discours qui étaient porteurs de leçons de vie pour leurs peuples. Ainsi pensaient-ils plus important de montrer la bravoure et l’ingéniosité de tel ou tel héros, plutôt que de raconter ce qui s’était réellement passé.
Qu’elle soit «scientifique», comme celle que cherchent à écrire les historiens contemporains, ou qu’elle soit d’abord littérature apologétique, comme celle des récits d’autrefois, l’histoire a toujours pour objet de raconter des évènements humains afin qu’ils restent mémorables pour les générations qui se succèdent. Pour se construire un avenir et vivre le présent, en effet, qu’on soit un individu ou qu’on soit un peuple, on a besoin de savoir d’où l’on vient. Besoin de s’appuyer sur une mémoire féconde. Une mémoire qui «fait sens».
Les premiers grands récits historiques de l’humanité, comme «L’Iliade et l’Odyssée» d’Homère, rassemblée au VIII ème siècle avant notre ère, ou le «Mahabharata» indien, composé vers le IV ème siècle avant l’ère commune, sont des épopées où on ne trouve pratiquement pas de dates. Les évènements évoqués ont fait l’objet de constructions littéraires très élaborées où s’entremêlent des mythes, des légendes et des souvenirs de faits véritables. Ces textes n’étaient pas scientifiquement vrais, mais ils ont nourri durant des siècles (et peuvent toujours nourrir, cas du «Mahabharata») le «paysage intérieur» de toute une partie de notre humanité. Ils se sont, ainsi, montrés vrais «autrement»!