Elle portait un casque et roulait lentement, mais Yuli s’est quand même fait arrêter. Son délit: porter un jean trop serré et une chemise un peu courte aux yeux de la police de la charia dans la province indonésienne d’Aceh. La jeune femme de 20 ans baisse les yeux devant la policière en uniforme kaki qui la sermonne. «Je promets d’acheter une tenue plus musulmane», murmure Yuli, avant d’être autorisée à repartir sur sa mobylette rose. En une heure, dix huit femmes ont ainsi reçu une leçon de morale parce que leur pantalon était trop moulant ou que leur tunique laissait deviner la forme de leur corps. Trois hommes se sont vus reprocher de porter un short. «Nous faisons respecter la charia, qui a été adoptée par le gouvernement provincial, et qui stipule que les femmes ne doivent montrer que leur visage et leurs mains», justifie Hali Marzuki, le commandant de cette police spéciale à Aceh. Cette province du nord de l’île de Sumatra applique progressivement la loi islamique depuis 2002 en vertu de son statut spécial d’autonomie au sein de l’Indonésie, le plus grand pays musulman du monde doté d’une constitution laïque. Forte de plus de 1.500 fonctionnaires, dont 60 femmes, la police de la charia ne semble guère effrayer les Acehnais. En raison notamment de la relative bonhommie des policiers, non armés, et de l’absence de sanctions graves. M. Iskandar, le chef de la police à Banda Aceh, la capitale de la province, affirme ainsi n’avoir «ordonné aucune flagellation» depuis qu’il a pris ses fonctions il y a un an. «La punition n’est pas l’objectif de la loi. Nous devons convaincre et expliquer», justifie-t-il.
Moins d’une dizaine de personnes ont reçu publiquement des coups de canne de bambou depuis 2005, que ce soit pour consommation d’alcool, jeux d’argent ou relations sexuelles illicites. Malgré cette relative clémence, «le message passe et les violations sont de moins en moins nombreuses», se félicite Syarifuddin, à la tête de l’une des brigades. Il souligne aussi que «la plupart des personnes arrêtées le sont sur des informations données par des habitants». C’est grâce à un «tuyau» anonyme que, ce matin-là, ses hommes ont interpellé un groupe de lycéens soupçonnés de jouer de l’argent aux dominos dans un café.
Syarifuddin compte aussi sur les inspecteurs en civil pour traquer le «péché de Khalwat», commis lorsque un homme et une femme non mariés se retrouvent ensemble dans un lieu fermé ou isolé, comme la plage. «Il faut apprendre à vivre avec cette police», témoigne Fira, une étudiante de 17 ans qui «aime s’amuser». «Nous savons prendre nos précautions pour éviter les contrôles. Et, de toutes façons, si on est pris, on ne risque qu’une engueulade». La situation pourrait changer si la police de la charia était chargée d’appliquer une nouvelle loi qui durcit les sanctions, allant jusqu’à la lapidation pour l’adultère. Ce texte, voté par l’ancien Parlement régional pour gêner la nouvelle majorité, a provoqué la consternation et l’inquiétude jusqu’à Jakarta, où la Cour suprême pourrait le déclarer inconstitutionnel. «Nous devons être très attentifs face à ces pressions radicales», avertit Khairani Arifin, porte-étendard de la cause des femmes acehnaises. Car, craint-elle, «Aceh pourrait ressembler un jour au Pakistan». Mais «dans le contexte actuel, de nombreuses prsonnes n’osent pas exprimer leur opposition de peur de passer pour de mauvais musulmans», regrette Teuku Ardiansyah, directeur d’une association de défense des libertés civiles à Banda Aceh.
Jérôme Rivet (AFP)