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Amal Mellakh: Si l’héritage est une production du passé, il est aussi la marque et la trace qui se transmettent de génération en génération

© D.R

Entretien avec Amal Mellakh, spécialiste en patrimoine

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Amal Mellakh nous livre sa vision des problématiques de la jeunesse marocaine avec son histoire et les grandes questions de la transmission et de l’héritage civilisationnel dans notre pays. Très active dans la société civile, notamment à Marrakech, la spécialiste en patrimoine anime plusieurs conférences au Maroc et à l’étranger, notamment pour l’UNESCO, pour redonner au patrimoine ses lettres de noblesse dans l’identité d’une nation.

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ALM : Comment définiriez-vous le rôle du patrimoine dans la préservation de la mémoire collective pour un pays ?

Amal Mellakh : Toute société humaine a laissé des traces comme témoin de son passé et de son génie créateur. La permanence de ces traces constitue ce qu’on appelle un patrimoine mémoriel.

Disons que le concept de patrimoine puise ses origines dans le droit romain, du latin patrimonium, l’héritage du père. Il désigne depuis les biens essentiellement matériels, mobiliers et immobiliers, transmis par succession et hérités par sa descendance, en respectant des règles précises et fortes, parce qu’il les prolonge au-delà de la mort, conditionne l’identité de leur lignée et prépare le cadre d’existence des nouvelles générations.

Où en est le Maroc dans ce domaine surtout quand on sait les différentes civilisations qui ont contribué à forger son identité amazighe, juive, arabe, etc.?

Comme toutes les sociétés qui plongent leurs racines dans une histoire longue et riche, le Maroc s’est forgé au creuset d’une «sédimentation» d’apports multiples.

Napoléon disait que pour connaître l’histoire d’un pays ou d’une nation, il faut voir sa géographie.  Celle du Maroc est plus qu’évocatrice de ce que représentent sa richesse, ses croisements, ses destins en contact avec son environnement. Les apports qui ont structuré l’imaginaire des peuples ayant rythmé son histoire sont tour à tour marqués du sceau des civilisations portées par ces peuples. Nous sommes sédimentés par des apports d’Orient et d’Occident, du judaïsme arrivé très tôt après la destruction du Second Temple, des populations autochtones amazighes, de l’arrivée de l’Islam et la synthèse berbèro-arabo-islamique. Plus tard, le contact avec l’Europe va bouleverser cette donne mais va l’enrichir aussi.

Ainsi, la somme complexe de ces apports forgera dans un ensemble hétéroclite et harmonieux ce qu’on désigne par la personnalité patrimoniale marocaine.

Dans vos travaux et conférences, vous semblez porter un intérêt particulier à Marrakech. Pourquoi ?

D’abord, je suis une femme qui est née et a grandi à Marrakech. Depuis ma tendre enfance, j’ai été éduquée dans une famille nourrie au patriotisme et pétrie de valeurs culturelles qui croiseront ma culture islamique du juste milieu et de la modération.

Mon rôle, je le vois une étape importante dans mon jeune engagement au sein de ma cité ocre. Ce fut aussi Marrakech, une capitale impériale de 947 ans, dans 53 ans elle fêtera ses 1.000 ans.

Marrakech est le croisement de toutes les influences : arabo-islamique, berbère, africaine… et aussi la preuve d’amour de Youssef Ibn Tachfine à sa femme Zynab Nafzaouia.

Du coup, c’est mon engagement envers ma ville et la mémoire de ma famille.

Donnez-nous quelques exemples des dysfonctionnements auxquels vous avez eu affaire sur ce domaine…

– Parlant de ma ville :

Marrakech peut s’enorgueillir de posséder un joyau de notre patrimoine : sa médina est l’une des plus grandes d’Afrique. 600 hectares de surface, classée patrimoine mondial en 1985 par l’Unesco, elle recèle un art singulier dans sa configuration architecturale. Le matériau de ses bâtis est très ancien. Mais voilà que nous assistons depuis quelque temps à une opération de reconstruction et de rénovation et non de restauration qui introduit des matériaux modernes tels que le ciment, les briques, le fer… Cela défigure l’authenticité de cette citadelle antique. L’exemple le plus stupéfiant de cette bêtise est l’état déplorable de la fameuse porte d’un des passages d’Abdelaziz Tebaa, un des 7 saints de la ville. Une porte très ancienne, condamnée, bétonnée, et transformée en jardinière. Et la liste des mauvaises pratiques est longue. C’est malheureux et c’est une preuve de manque de responsabilité et de savoir-faire.

Comment faire passer le message aux jeunes qui ont de plus en plus tendance à aller vers le virtuel ? Est-ce qu’il y a un travail initié dans ce sens ?

La jeunesse est le cœur battant d’une société. Elle est le réceptacle et la force de conservation et de transmission.

Sur elle repose le futur porté par l’histoire mémorielle ! Si l’héritage est une production du passé, il est aussi la marque et la trace qui se transmettent de génération en génération.

Notre jeunesse pétrie de modernité, socialisée dans des systèmes de valeurs et des transmissions inédits, est appelée à prendre en charge les traces de son histoire. Elle est appelée non seulement à assurer la transmission mais aussi à inventorier le futur. Elle est aujourd’hui engloutie dans une post-modernité inédite marquée par l’irruption et l’hégémonie d’outils numériques qui consacrent une nouvelle relation au réel et au matériel.

Il n’y a pas lieu de marquer une quelconque nostalgie pour le passé. C’est ainsi. On doit donc adapter ce besoin de conserver notre identité patrimoniale et mémorielle en s’appuyant sur les acquis de cette modernité insaisissable.

On croit savoir que vous êtes en train de créer une association pour la culture et l’éducation avec des partenaires, où en êtes-vous ?

Justement face et devant ce dénigrement de la mémoire des lieux, il faut un sursaut pour y mettre fin. Des initiatives, certes, ont fleuri ici et là, mais sans être à la hauteur du défi.

Notre projet, porté par notre association, a pour vocation de rectifier ces erreurs, contribuer à restaurer sans défigurer, rester fidèle à la mémoire des lieux que nous devons conserver et transmettre aux générations futures, et surtout sensibiliser la population à la valeur culturelle, patrimoniale, matérielle et immatérielle en organisant des séminaires et autres manifestations.

Des initiatives de la société civile comme la nôtre sont salutaires, pour respecter, valoriser la mémoire, ainsi que l’histoire des habitants.

Sur un plan plus personnel, quels sont vos projets pour cette rentrée ?

Notre devoir en ce moment, ou plutôt l’urgence, est de travailler avec la jeunesse. D’où l’idée de créer «fikra». Alors notre priorité est :

1/ Les réconcilier avec leur patrimoine et leur histoire.

2/ Éducation : seul le savoir et la curiosité permettent à la jeunesse de s’élever vers la connaissance et la considération pour son passé et sa mémoire.

3/. La citoyenneté : celle qui érige le citoyen en acteur de son propre patrimoine : le connaître, le développer, le transmettre.

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