Céréales : Le Maroc au cœur d’une bataille mondiale pour le marché africain

Commerce. Les délégations des puissances agricoles mondiales défilent depuis des semaines au Maroc avec en ligne de mire le marché local mais avec en toile de fond le marché africain. Une véritable course aux enjeux économiques mais surtout géostratégiques. Eclairages.

Le Maroc bientôt un hub continental pour les céréales. Le Royaume est depuis quelques semaines courtisé par les grands exportateurs mondiaux des céréales avec des délégations importantes qui défilent multipliant les rencontres BtoB. Grands habitués du marché marocain et africain, les céréaliers français à travers la puissante organisation Intercéréales ont été les premiers à poser leurs valises dans la capitale économique du pays, Casablanca. Malgré les dernières récoltes françaises en la matière jugées en deçà des performances précédentes, l’Hexagone reste l’un des principaux fournisseurs du Maroc et d’une bonne partie de l’Afrique. Début octobre dernier, une rencontre franco-marocaine des céréales a donc eu lieu à Casablanca, sous l’égide d’Intercéréales. Ce ne sont pas moins de 300 représentants de la filière marocaine, une cinquantaine d’opérateurs français et des acteurs des filières africaines en formation au Maroc qui ont participé à l’événement pour échanger sur la production française de céréales en 2024 ainsi que sur l’organisation des chaînes logistiques pour le transport des céréales. Les céréales françaises affichent l’objectif de continuer cette année encore à contribuer à la satisfaction des besoins locaux et continentaux. Il faut préciser d’ailleurs que l’état-major d’Intercéréales, considéré comme un lobby français de la filière céréalière, a également fait le déplacement au Maroc au cours de la visite d’Etat du président français Emmanuel Macron au Royaume pour la signature de convention sur place. L’organisation regroupe des producteurs de céréales ainsi que les collecteurs et des exportateurs. Si les professionnels français se mobilisent, c’est que leurs exportations doivent faire face de plus en plus à une concurrence importante de la part d’autres acteurs principalement les Russes.

«From Russia with love»
Les autorités russes qui cherchent à trouver un point de chute durable en Afrique, multiplient les actions pour entretenir un «soft power» sur le continent. Une stratégie qui semble s’orienter notamment vers la coopération agricole, principalement les céréales. Dans ce sens, une délégation d’opérateurs céréaliers russes doit se rendre au Maroc cette semaine, le 29 novembre plus exactement à Casablanca. Les autorités russes ont sorti les gros moyens dans le cadre de cette véritable opération séduction avec une délégation conduite par Eduard Zernin, président de l’Union des producteurs et exportateurs céréaliers russes, plus connue sous la dénomination, «Rusgrain Union». Au programme, une intervention de Vladimir Baibakov, ambassadeur de Russie au Maroc, ainsi qu’une présentation de la filière céréalière russe, sans oublier des rencontres B2B entre les opérateurs russes et les acteurs marocains actifs dans le domaine de l’importation. Le hic pour les autorités russes ce sont les contrats d’importations qui se font généralement via des courtiers internationaux. Mais la Russie compte bien s’affranchir de cette méthode en négociant notamment l’installation des opérateurs directement sur places encouragée en cela par les dernières performances de leurs exportations. Selon l’agence russe Sputnik, «la Russie est devenue le premier fournisseur de blé du Maroc, dépassant la France, qui occupait cette position depuis 2019» précisant que «les exportations agricoles russes vers l’Afrique ont augmenté de 25% en 2023 par rapport à 2022.

La tendance à la hausse se poursuit, a indiqué le vice-ministre russe de l’agriculture, Sergueï Lévine, en marge du Forum économique international de Saint-Pétersbourg (SPIEF). En février, Moscou a achevé avec succès la livraison de 200.000 tonnes de blé gratuit au Burkina Faso, au Zimbabwe, au Mali, à la Somalie, au Tchad et à l’Érythrée dans le cadre d’une initiative humanitaire annoncée par le président russe Vladimir Poutine lors du deuxième sommet Russie-Afrique à Saint-Pétersbourg en juillet 2023». Implantation sur place mais également changement des routes de transport. Dès le début de 2025, la Russie prévoit de lancer une nouvelle route maritime reliant Saint-Petersbourg au Maroc via la mer Baltique puis l’océan Atlantique, loin de la tension au niveau de la route utilisant la mer Noire, jusqu’ici la principale route des exportations de céréales russes pour le marché de l’Afrique du Nord.

L’oncle SAM arrive
Face à cet activisme russe, d’autres acteurs internationaux se mobilisent. En plus de l’Ukraine qui commence à prendre des contacts avec les opérateurs marocains, les exportateurs américains sont également intéressés. Dans ce sens, des représentants de près de 50 entreprises agroalimentaires et groupes commerciaux américains et de 14 départements d’État de l’agriculture se rendront à Casablanca, au Maroc, du 2 au 5 décembre, dans le cadre d’une mission commerciale du ministère américain de l’agriculture visant à accroître les exportations agricoles et alimentaires américaines vers le Maroc et d’autres marchés d’Afrique de l’Ouest. « Cette mission offre une opportunité cruciale aux entreprises agroalimentaires américaines de pénétrer le marché dynamique du Maroc et de tirer parti de sa position stratégique pour un accès plus large à l’Afrique », a déclaré Daniel Whitley, administrateur du Foreign Agricultural Service, qui dirigera la mission. « Nous nous engageons à faciliter ces connexions vitales et à accroître les exportations agricoles américaines».
Le Maroc est le deuxième plus grand marché d’exportation des produits agricoles américains en Afrique. Les ventes américaines de produits agricoles et alimentaires au pays ont atteint 619 millions de dollars l’an dernier, soit 16 % de la part de marché du continent.

Les exportations agricoles américaines vers le Maroc ont doublé depuis l’entrée en vigueur de l’accord de libre-échange entre les États-Unis et le Maroc en 2006. Tout au long de la mission, les représentants des entreprises américaines participeront à des réunions interentreprises avec des acheteurs potentiels du Maroc et d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, notamment la Côte d’Ivoire, la Gambie et le Sénégal.

Exportations US
Marché agricole. Selon le Département de l’agriculture des États-Unis (USDA), le Maroc offre un marché stable et une économie en croissance et constitue un pôle de distribution clé pour le continent africain. Le pays est déjà un importateur majeur de produits en vrac et intermédiaires en provenance des États-Unis et son secteur de transformation alimentaire en pleine expansion ainsi que la demande croissante des consommateurs créent de nouveaux potentiels de vente de produits destinés aux consommateurs. Les exportateurs américains ont des opportunités dans de nombreux secteurs, notamment le bœuf, les produits laitiers, les céréales fourragères, les animaux vivants et la génétique, le riz, les fruits de mer, les pommes de terre de semence, le soja et les fruits à coque. En plus des représentants des entreprises, Whitley sera rejoint par le secrétaire à l’agriculture du Kansas, Mike Beam, le commissaire à l’agriculture du Dakota du Nord, Doug Goehring, le secrétaire à l’agriculture et aux forêts de Virginie, Matthew Lohr, et le secrétaire à l’agriculture, au commerce et à la protection des consommateurs du Wisconsin, Randy Romanski, ainsi que par des représentants des départements de l’agriculture du Colorado, de l’Idaho, de l’Indiana, du Minnesota, du Missouri, du Montana, du Nebraska, du Nouveau-Mexique, du Tennessee et de Washington.