ActualitéCouverture

Tissu productif : radioscopie de la TPME marocaine

© D.R

Dans le cadre de sa mission de production de statistiques et d’indicateurs sur le tissu productif national, l’Observatoire marocain de la TPME (OMTPME) poursuit sa série de publications des rapports régionaux. Le dernier en date est celui de l’Oriental que l’Observatoire a rendu public lundi. Il s’agit d’une déclinaison du rapport annuel réalisé à l’échelle nationale permettant d’établir une radioscopie du système productif des différentes régions du Maroc. En marge de cette publication, Aujourd’hui Le Maroc a interviewé Amal Idrissi, directrice exécutive de l’OMTPME. L’occasion de dresser un panorama global de l’évolution du tissu productif après la crise pandémique ainsi que d’échanger autour des défis à relever pour renforcer la contribution de ces entités à la croissance nationale. Les détails.

Amal Idrissi, directrice exécutive de l’OMTPME. (D.R)

ALM : L’Observatoire commence à publier de façon périodique des rapports régionaux sur l’évolution de l’entrepreneuriat au Maroc. Dans quel cadre s’inscrivent ces publications ?
Amal Idrissi : Les rapports régionaux de l’Observatoire Marocain de la TPME présentent une analyse approfondie de la situation des entreprises dans chaque région du Maroc. Ils mettent en lumière des indicateurs clés permettant d’évaluer la performance des TPME et leur impact sur les économies régionales. Ils fournissent des informations précieuses pour soutenir le développement économique et la planification stratégique. Les rapports sont publiés annuellement et couvrent l’ensemble des régions du Maroc. Ces rapports offrent une vue détaillée de la démographie des entreprises au niveau régional en examinant leur répartition à travers les différentes provinces et préfectures. De plus, ils identifient les secteurs clés en réalisant une analyse approfondie de leur répartition sectorielle et en étudiant leur chiffre d’affaires pour mieux appréhender leur envergure. Les rapports régionaux examinent également l’évolution des créations d’entreprises au niveau provincial, ainsi que leur répartition par secteur d’activité. Ils évaluent également le taux de dissolution des entreprises, reflétant ainsi leur résilience face aux défis économiques. Une attention particulière est accordée à l’emploi généré par les TPME dans chaque région. Le nombre d’emplois créés et les secteurs qui y contribuent le plus sont analysés. Cette approche met en évidence les dynamiques de l’emploi et l’impact des TPME sur le marché du travail local. Enfin, les rapports régionaux analysent certains ratios financiers des entreprises, tels que la structure des passifs, la répartition des dettes ainsi que la situation de la trésorerie et de liquidité des entreprises, ce qui donne une idée sur la santé financière des entreprises au niveau provincial. L’accès au financement et l’entrepreneuriat féminin sont également évalués.

Quels sont les principaux constats à retenir ?
En ce qui concerne les tendances générales, il convient de souligner en premier lieu la fragmentation du tissu productif national caractérisée par la prédominance d’entreprises réalisant un chiffre d’affaires relativement modeste, soit moins d’1 million de dirhams.
Concernant les secteurs d’activité, une concentration est observée dans des secteurs qui nécessitent peu de ressources financières, tels que le commerce et la construction, dans toutes les régions du Maroc. Cette concentration limite la diversification économique et la création d’emplois dans des secteurs à plus forte valeur ajoutée. Il est important de noter une concentration significative des entreprises le long de l’axe Tanger-El Jadida, entraînant une disparité régionale. Cette concentration est particulièrement marquée dans la région de Casablanca-Settat, où près de 40 % des entreprises marocaines sont localisées, soulevant ainsi des questions d’équité économique entre les régions. L’emploi et la création de richesse sont étroitement liés aux régions qui concentrent le plus d’entreprises. Par exemple, Casablanca-Settat génère à elle seule 60 % du chiffre d’affaires des entreprises et 40 % des emplois, tandis que les autres régions y contribuent de manière hétérogène. Cette concentration met en évidence les déséquilibres économiques régionaux et la nécessité de promouvoir le développement économique dans toutes les régions du Maroc. Les rapports régionaux soulignent également les différences en termes de secteurs contribuant à l’emploi et au chiffre d’affaires. Par exemple, dans la région de Tanger, le secteur de l’industrie manufacturière joue un rôle prépondérant dans la création d’emplois. Cette diversité sectorielle reflète les spécificités économiques propres à chaque région et offre des pistes pour orienter les stratégies de développement économique et de création d’emplois.

C’est le titre de la boite
Tout savoir sur le plan 2021-2023 de l’Observatoire
Vision : 2023 marque la date d’échéance du plan stratégique triennal de l’Observatoire. Elaboré sur la période 2021-2023, ce dispositif intervient dans un contexte marqué par la crise de la pandémie de la Covid-19 et le lancement de plusieurs réformes initiées par les autorités publiques dont notamment le Nouveau modèle de développement, la Stratégie nationale d’inclusion financière et les Plans de développement régionaux et sectoriels. Le plan vise ainsi à renforcer davantage sa connaissance du tissu productif national à travers l’enrichissement continu de son répertoire de données, ainsi que de ses indicateurs et de ses productions. Dans ce sens, l’Observatoire continue à mobiliser les outils de data science et de big data dans ses processus d’exploitation des données, afin de mettre celles-ci au service des politiques d’accompagnement de la TPME. Il s’articule autour de trois axes. Citons dans ce sens le développement et la fiabilisation des bases de données de l’Observatoire pour élargir le périmètre des productions, le renforcement des capacités organisationnelles et opérationnelles de l’observatoire ainsi que le développement de la communication et la coopération aux niveaux national et international.

La crise sanitaire a été une épreuve décisive pour le tissu entrepreneurial. Quelles sont les tendances qui se dégagent de cette période «post-Covid» ?
Depuis 3 ans, le tissu productif marocain connaît des turbulences liées à un contexte d’incertitude face à la succession de crises : Covid, géopolitique et climatique. Nous avons pu étudier l’impact de ce contexte. Tout d’abord, il y a eu une baisse de la valeur ajoutée des entreprises de près de 11 %. Cette dégradation a touché toutes les régions, mais avec des proportions inégales, les régions de Marrakech-Safi, Béni Mellal-Khénifra, Fès-Meknès et Tanger-Tétouan-Al Hoceima étant les plus touchées. Au niveau sectoriel, certains secteurs ont subi des baisses significatives de leur valeur ajoutée, notamment les secteurs des arts, des spectacles et des activités récréatives, de l’hôtellerie et de la restauration, ainsi que des transports et de l’entreposage. En revanche, les activités liées à l’enseignement ont connu une hausse de leur valeur ajoutée. La structure du tissu productif s’est davantage fragmentée avec un chiffre d’affaires qui s’est détérioré entraînant un changement de catégorie pour 20.560 entreprises. De plus, parmi les entreprises déclarantes à la CNSS en 2019, 40.715 ne sont plus déclarantes en 2021, comptant 194.575 emplois en 2019. La création d’entreprises a chuté en 2020 avant de connaître une hausse en 2021. Concernant les indicateurs financiers des entreprises, les mesures de soutien prises par les autorités ont contribué à limiter l’impact de la crise sur la trésorerie des entreprises, qui est restée globalement au même niveau qu’en 2019. Il faut aussi préciser la résilience des entreprises des secteurs et branches d’activités suivantes : les industries extractives, la production et distribution d’électricité, de gaz, de vapeur et d’air conditionné, les activités hospitalières, les laboratoires d’analyses médicales, le commerce de gros de produits pharmaceutiques, l’enseignement et la santé humaine et action sociale.

Selon vous, quels sont les principaux défis à relever à l’heure actuelle pour contribuer au renforcement du tissu entrepreneurial marocain ?
Les outils d’aide à la décision que nous développons fournissent une analyse approfondie et détaillée du tissu productif, allant jusqu’à une connaissance plus fine aux niveaux provincial et préfectoral. Ces outils mettent en évidence les défis spécifiques de chaque région, permettant ainsi aux autorités publiques de formuler des politiques et des stratégies mieux adaptées et plus efficaces. En intégrant les particularités et les problématiques propres à chaque région, ces outils facilitent la prise de décision éclairée et contribuent à une meilleure compréhension de la situation économique de chaque localité. Ces outils permettent également d’évaluer l’impact de ces politiques et de s’engager dans un processus d’amélioration continue. Cette approche, connue sous le nom de « data driven » ou stratégies basées sur les données, est largement utilisée dans les pays développés et revêt une importance capitale pour une prise de décision éclairée. Les principaux défis ont été présentés dans les questions précédentes comme la fragmentation du tissu productif et sa concentration dans certaines sections d’activités. Nous avons aussi identifié un autre défi qui concerne la participation des femmes dans l’entrepreneuriat, qui reste limitée à 16 %. Malgré les efforts déployés à travers divers programmes visant à favoriser leur inclusion économique, la présence féminine dans le domaine entrepreneurial demeure relativement faible. Concernant la répartition sectorielle, les femmes sont principalement concentrées dans des secteurs traditionnellement considérés comme « féminins », tels que la santé, l’action sociale, l’enseignement, la coiffure, les spas, etc. Dans ces secteurs, la proportion de femmes varie de 30 à 40 %, démontrant une présence significative. Par ailleurs, des disparités régionales importantes ont été observées. Les régions du sud du Maroc affichent des taux d’entrepreneuriat féminin plus élevés, atteignant environ 28 %. Ces différences pourraient être attribuées à des facteurs socio-culturels propres à ces régions. Malgré la dynamique économique notable de certaines régions, notamment Casablanca, le taux d’entrepreneuriat féminin demeure relativement faible, avoisinant les 17 %.

Quid du financement ?
Les rapports publiés par l’Observatoire incluent également des indicateurs sur l’accès au financement des entreprises, et ce pour mesurer l’inclusion financière de ces dernières. L’examen de la répartition géographique des crédits révèle une concentration importante dans la région de Casablanca-Settat, où près des deux tiers de l’encours total des crédits sont alloués. Cette région abrite également 42,4 % de l’ensemble des entreprises étudiées. En ce qui concerne la répartition sectorielle, le commerce, la construction et l’industrie manufacturière rassemblent près des deux tiers de l’encours des crédits accordés aux EPMA. Plus spécifiquement, les entreprises du secteur du commerce et de la réparation d’automobiles représentent 30,7 % de l’ensemble des EPMA et bénéficient de 25,6 % de l’encours total des crédits. En ce qui concerne l’âge des entreprises, il est intéressant de noter que près de 72 % de l’encours des crédits est octroyé à des EPMA ayant plus de 10 ans d’existence. Les entreprises de moins de 5 ans représentent quant à elles 34,4 % de l’ensemble, mais ne bénéficient que de 11,1 % de l’encours total des crédits. Enfin, en ce qui concerne la catégorie des entreprises, les TPME bénéficient de près de 45 % de l’encours total des crédits. Ces TPME représentent 98,6 % de l’ensemble des EPMA ayant un contrat de crédit bancaire.

Les start-up sont-elles dans les radars de l’OMTPME ?
En effet, les travaux de l’Observatoire touchent la quasi-exhaustivité des entreprises actives, y compris les start-up. Toutefois, il convient de reconnaître que les startups présentent des caractéristiques spécifiques liées à leur structure, à la nature de leur activité, à leur âge, à leur adoption des technologies et à leurs modes de financement. Dans cette optique, l’Observatoire est actuellement en train de développer une méthodologie visant à identifier de manière précise les start-up, afin de leur consacrer une étude spécifique. Cette méthodologie reposera sur des benchmarks et des études réalisées à l’échelle internationale, permettant ainsi de mieux appréhender le paysage des start-up au Maroc et d’analyser leurs spécificités dans le cadre de nos travaux.

À quand une véritable radioscopie du secteur de l’informel ?
Il convient de souligner que les travaux de l’Observatoire se concentrent actuellement sur les entreprises du secteur formel, pour lesquelles nous disposons de données permettant de mener des analyses approfondies. Cette approche graduelle a été adoptée afin de maîtriser les différents périmètres des entreprises, et garantir un travail rigoureux basé sur des fondements scientifiques et une traçabilité adéquate. Ainsi, nous avons commencé par analyser la population des entreprises personnes morales, puis nous avons élargi ce périmètre pour inclure la population des personnes physiques et les auto-entrepreneurs. Cette démarche nous permet de normaliser et d’unifier l’information sur ces entreprises, en établissant un consensus entre toutes les sources d’information et en réfléchissant à l’harmonisation des définitions et des référentiels. En ce qui concerne le secteur informel, étant donné le manque de données sur le profil et le comportement des entreprises qui y opèrent, une méthodologie spécifique est nécessaire. Nous sommes actuellement dans une phase d’observation et de références, en particulier en nous appuyant sur les pays ayant une économie similaire à celle du Maroc. En général, des enquêtes sont utilisées pour appréhender le secteur informel. À cet égard, nous souhaitons capitaliser sur l’expertise du HCP dans la réalisation d’enquêtes. Une proposition de collaboration a été faite en ce sens afin de mettre en place un cadre de coopération.

Un dernier mot …
Il est essentiel de promouvoir le décloisonnement et le partage des données sur les entreprises entre les institutions publiques, tout en respectant leur caractère confidentiel, et ce afin de renforcer la transparence, garantir une meilleure compréhension de l’écosystème entrepreneurial, ses enjeux, ses défis et ses opportunités de croissance, favorisant ainsi une prise de décision éclairée et la possibilité d’évaluer l’impact des mesures mises en place.

Conjoncture

Impact de la Covid sur le tissu productif

La répartition des EPMA par catégorie fait ressortir que les micro-entreprises ayant un chiffre d’affaires compris entre 0 et 1 million de dirhams ont représenté 78,7 % de l’effectif total des entreprises, enregistrant ainsi une progression annuelle de près de 8 %. Cette proportion s’est chiffrée à 9,6 % pour les entreprises dont le chiffre d’affaires est compris entre 1 et 3 millions de dirhams, affichant une baisse de 5 %. Quant aux moyennes et grandes entreprises, elles ont représenté 0,9 et 0,4 % respectivement sans changement significatif par rapport à 2019. Mesurées par leur chiffre d’affaires, 20.560 entreprises ont changé de taille. Ainsi, 200 grandes entreprises sont devenues des PME, 3.880 PME des TPE ou micro-entreprises et 6.680 TPE des micro-entreprises. De plus, 9.800 microentreprises ont vu leur chiffre d’affaires baisser d’un montant situé entre 1 et 3 millions de dirhams à un niveau inférieur. Au plan sectoriel, la structure du tissu des TPME n’a pas subi de changements significatifs en 2020. Toutefois, la part de la section « Transports et entreposage » dans l’effectif total a connu une progression de 0,7 point et ce, en dépit des impacts de la récession économique sur ce secteur.

Créations et dissolutions des entreprises personnes morales en 2021

Se référant à l’Observatoire, 104.910 entreprises personnes morales et physiques ont été créées en 2021 marquant une hausse de 23,4 % par rapport à 2020, année marquée par la crise économique et qui a vu, en conséquence, les nouvelles créations baisser à 84.996, soit un recul de 10,5 % par rapport à 2019. Par ailleurs, l’année 2021 a connu une hausse de 52,2 % du nombre des entreprises en cours de dissolution pour atteindre les 8.284. La ventilation régionale de ces dissolutions laisse apparaître la prédominance de la région de Casablanca-Settat, avec une part de 31,6 % en 2021. Elle est suivie par la région de Marrakech-Safi avec une part de 16,7 %, marquant une augmentation de 3,2 points par rapport à l’année précédente. Pour ce qui est de la région de Rabat-Salé-Kénitra, elle affiche une proportion de 16,4 % contre 16,2 % en 2020.

Articles similaires

ActualitéCouvertureUne

Les banques marocaines face aux nouvelles menaces de l’IA

Un nouveau défi pour le secteur bancaire qui investit lourdement pour préparer...

ActualitéUne

Expropriation pour utilité publique: La version algérienne démystifiée

La mystification algérienne concernant une procédure d’expropriation a été dévoilée au grand...

ActualitéUne

SM le Roi, Amir Al Mouminine, préside ce lundi la deuxième causerie religieuse du mois sacré de Ramadan

Sa Majesté le Roi Mohammed VI, Amir Al Mouminine, que Dieu L’assiste,...

EDITO

Couverture

Nos supplément spéciaux