«Le pouvoir veut contraindre le peuple à la soumission en employant la force. Il veut le faire en se servant de vous et de vos armes », a écrit l’opposant pro-occidental Viktor Iouchtchenko dans un message aux « soldats, policiers, commandants et chefs des forces armées et de sécurité ». M. Iouchtchenko, proclamé mardi président de l’Ukraine par les députés de l’opposition, a appelé les forces de l’ordre à ne pas utiliser la force contre les manifestants. Plus de 100.000 personnes étaient rassemblées mercredi sur la Place de l’Indépendance à Kiev pour contester la victoire du candidat au pouvoir, le Premier ministre Viktor Ianoukovitch. « J’en appelle aux commandants des forces de sécurité, vous avez la responsabilité de maintenir l’ordre public et d’empêcher une tragédie.
Vous devez empêcher tous les hommes sous votre commandement d’utiliser la force contre le peuple », a affirmé Viktor Iouchtchenko. L’annonce de la victoire de M. Ianoukovitch, soutenu par Moscou, à la présidentielle de dimanche, marquée, selon l’opposition et les observateurs internationaux par de vastes fraudes, a ouvert une crise politique dans l’ex-république soviétique et soulevé une vague de contestation qui ne faiblissait pas mercredi. La Commission électorale centrale s’apprêtait à annoncer la victoire définitive de M. Ianoukovitch, une fois la totalité des bulletins dépouillés. Selon des résultats quasi complets, M. Ianoukovitch l’emporte avec 49,54 % des voix, contre 46,66% à son rival.
Le siège de la Commission électorale était entouré mercredi de dizaines de camions en bloquant les accès. Des centaines de partisans de M. Ianoukovitch manifestaient devant le bâtiment. Comme à Kiev, des dizaines de milliers de personnes manifestaient à Lviv, dans l’ouest du pays, région nationaliste acquise à l’opposition, sous les slogans « Iouchtchenko est notre président », « Nous avons vaincu les Nazis, nous vaincrons les bandits ». Les manifestants brandissaient des drapeaux oranges, couleur de l’opposition, sous l’oeil de centaines de policiers portant eux aussi des rubans oranges. L’Assemblée régionale de cette ville a voté une motion de défiance envers le gouverneur de la région, nommé par Kiev, et désigné à sa place un responsable de l’opposition. Six villes du pays, dont Kiev et Lviv, ont depuis lundi refusé de reconnaître la victoire de M. Ianoukovitch.
L’opposition ukrainienne a exclu mercredi de négocier avec le pouvoir autre chose que les modalités d’une passation de pouvoirs. Mardi soir, Léonid Koutchma avait lancé un appel au dialogue, évoquant un risque de partition de l’Ukraine, et avait assuré que « le pouvoir ne sera jamais l’instigateur d’un recours à la force » contre les manifestants. « Nous n’allons mener aucune négociation avec Ianoukovitch et les gens qui l’entourent », a répondu mercredi un des leaders de l’opposition, Mykola Tomenko, devant la foule réunie sur la Place de l’Indépendance.
La porte-parole de M. Iouchtchenko, Irina Herachtchenko, a expliqué que l’opposition exigeait que les autorités reconnaissent les fraudes électorales pour engager des négociations, et qu’il s’agissait là d’une « condition sine qua non ».
« Il n’y a pas eu de négociations. Nous sommes étonnés par l’attitude de Léonid Koutchma qui refuse d’admettre ce qui se passe dans le pays, refuse de reconnaître que le scrutin a été falsifié », a déclaré Mme Herachtchenko.
M. Ianoukovitch a lui aussi écarté en substance la nécessité d’un dialogue. « Il n’y a rien d’extraordinaire en cours. Nous devons continuer à remplir nos tâches constitutionnelles et poursuivre les activités de l’Etat », a-t-il dit.
De son côté, le ministre de la Défense O. Kouzmouk a déclaré que l’élection avait respecté « la loi », dans un message appelant les militaires à garder leur calme. Plus de 150 diplomates ukrainiens ont reconnu la victoire de M. Iouchtchenko. Des membres des ambassades d’Ukraine en Hongrie et en Espagne notamment lui ont également témoigné leur soutien.