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Ce que cache «Les yeux secs»

© D.R

Il aurait dû être un motif de fierté nationale, il est devenu le moteur d’un psychodrame qui enfle de jour en jour. «Les yeux secs», le premier long métrage de fiction de la jeune cinéaste marocaine, Narjiss Nejjar, fait couler autant d’encre que de larmes de crocodile… Sélectionnés à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes en 2003, ces yeux-là ont raflé des prix à ne plus savoir qu’en faire : prix du scénario aux festivals de Namur et de Marrakech, Grand Prix du jury au Festival international du film de Rabat, prix de la première oeuvre, prix d’interprétation féminine et prix du costume au Festival national du film marocain, etc. Sortie sur les écrans marocains au mois de mars, cette production engagée débarque en Europe, auréolée d’un petit parfum de scandale à la sauce amazigh…
De quoi s’agit-il ? L’histoire, d’abord. De l’aveu même de la cinéaste, le récit s’inspire de faits réels. Il nous fait entrer au coeur du Moyen Atlas, en terre berbère, dans un village de femmes, prostituées de mères en filles. Des femmes qui offrent leur corps les soirs de pleine lune. «Un village où les seuls hommes qui entrent sont ceux qui paient», annonce le synopsis, au lyrisme étudié. Un village où les vieilles prostituées ont été reléguées par leurs propres filles dans des «greniers», tout en haut dans la montagne. L’aridité des terres déteint sur le coeur des femmes : ainsi, c’est sans pitié que les nouveau-nés sont abandonnés près d’un puits, histoire de briser la logique avilissante de la prostitution comme seul moyen de survivre.
Heureusement, pour contrebalancer cette cruauté scénaristique – qui frise le dégoût avec le dépucelage injustifié d’une petite fille – les images de Narjiss Nejjar célèbrent les paysages sublimes du Moyen-Atlas. Sans doute, le film sera également perçu comme un hommage à ces femmes que la pauvreté et le machisme ont rendues prisonnières d’un système barbare… Mais ce n’est pas suffisant pour calmer les esprits. Car à Tizi Nisly, si la pauvreté est grande, le sens de l’honneur ne l’est pas moins. «Tizi n’est pas un village de prostituées ! Nous ne sommes pas des prostituées ! Nous avons été bernées par Narjiss. Elle nous a dit qu’elle faisait un film sur la vie quotidienne à Tizi Nisly et voilà qu’elle nous traite de prostituées!» clament des figurantes. Celles-ci au nombre de 35, ainsi que huit hommes, entendent tout bonnement faire interdire le film… Pour être « réparées dans leur honneur». Et selon leur avocat, maître Hassan Khalès, également natif de la région, il n’est pas question de réclamer un dirham de dédommagement. Puisque l’honneur n’a pas de prix…D’un autre côté, les hommes ont d’emblée pris la parole pour défendre l’honneur de «leurs» femmes. Celles qui sont amies, soeurs, mères et qui ont joué dans le film. Ils dressent leurs doléances. La prostitution ? «Soyons clairs, elle existe. Elle existe comme partout dans le monde, ni plus ni moins qu’ailleurs. Si madame Nejjar voulait lutter contre la prostitution, c’est dans les grandes villes et les clubs de vacances qu’elle devait aller, pas ici. Mais ce n’est pas tellement ça le plus grave…», renchérit Ahmid Azizi, instituteur, animateur de théâtre et secrétaire général de l’Association Tougmat –de défense de la culture berbère- qui a naturellement pris la tête de la fronde anti «yeux secs». Ce qui le choque, c’est la manière dont la culture berbère est abordée…
«Ce n’est pas un hasard», insiste-t-il. «Voyez le film. Les prostituées s’expriment en berbère et le personnage principal qui arrive en héros, pour sauver les femmes de la prostitution et tenter de s’opposer au viol de la petite fille, ne comprend pas un mot du berbère: il ne parle qu’arabe. Il y a une idéologie sous-jacente. Une idéologique très prégnante au Maroc qui vise à opposer la culture des saints et la culture des «barbares». Narjiss Nejjar, passablement écoeurée par la tournure des événements, refuse de jouer le jeu de la polémique par médias interposés. Sa première défense a été de crier à la manipulation de ces femmes par les élus locaux. Sa réponse, relayée dans le magazine hebdomadaire “Tel Quel” au travers de la presse marocaine, «je fais ce que je veux, j’écris ce que je veux, comme je veux», n’a pas vraiment calmé le jeu. Et répliquer en affirmant que la moitié de ses figurantes étaient effectivement des prostituées, que cela soit vrai ou pas, n’était sans doute pas adéquat… Il n’en fallait pas tant à Maître Khalès et aux détracteurs du film : «Nous déposerons donc deux plaintes, l’une contre le contenu du film, l’autre contre les propos de mademoiselle Nejjar ». Dont acte.

• Aurore D’Haeyer
Journaliste belge Fondation Baudoin

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