L’arrivée de Lesieur et de son partenaire européen (marque Calida) devrait huiler un secteur de la charcuterie figé depuis longtemps dans le diktat de quelques leaders du marché.
«Il s’agit d’une activité complexe», précise Driss Chilla, ancien directeur commercial de Bemoda, aujourd’hui recyclé dans les textiles et l’habillement. «la charcuterie est le seul domaine économique où l’on peut comparer une grosse structure et une petite, parce qu’il n’ ya pas de règles».
L’importation reste l’une des voies royales pour booster les marges. L’élevage marocain, selon les producteurs de mortadelle, ne peut pas satisfaire la demande.
La plupart des grosses structures de la place comme sapak, propriétaire de la marque Koutoubia, qui revendique 60% du marché (chiffre jugé excessif par un concurrent direct), font largement recours à l’importation de la VSM (viande séparée mécaniquement).
Il s’agit de déchets sains de la viande acquis au prix de revient (achat, fret, et TVA) de 13 à 16 dirhams le kilogramme. Transformées et mélangées avec le fécule, ces plaques de viandes pauvres donnent la mortadelle normale et les saucisses. Problème : la réglementation, révisée après la vague d’intoxication de 1999, est assez floue. En l’absence de cette contrainte réglementaire, certains producteurs mettent beaucoup de fécule (produit bon marché) et peu de viandes, histoire de booster les marges. Celles-ci, variant entre 30 et 60% du prix de vente par rapport aux coûts de production, sont d’autant plus importantes que le produit est de bas de gamme. «le seul secteur où la mauvaise qualité fait gagner plus d’argent que la bonne qualité est la charcuterie», confie un producteur. Certes, plus de fécule dans le casher neutralise le goût de la mortadelle. Mais qui s’en plaint ? Certainement pas les associations de consommateurs marocains. «Ici au Maroc, regrette un industriel, le consommateur n’est pas arrivé au stade où il peut différencier entre un bon produit et un produit standard ». De plus, le souci de l’image n’existe pas. Un exemple, la Koutoubia : malgré tous ses moyens, présente sur ces produits les mêmes emballages que la plupart des petites structures de la place. L’absence de la sanction du marché retarde l’émulation vers la qualité.
D’ailleurs, l’Etat qui encadre le secteur ne s’y est pas trompé. Les délais de péremption, de 6 mois au début, ont été ramenés désormais à trois mois, au nom du principe de précaution. La réduction des délais de validité a fait naître d’autres pratiques. En effet, dès la fin de la période de trois mois, les produits sont retirés du circuit de vente et renvoyés à l’usine. Et c’est là que commence le flou.
Certaines entreprises remettent la marchandise dans le circuit de distribution, l’enrichissent et sortent un nouveau produit. Il n’est pas aussi exclu, apprend-t-on auprès d’acteurs sérieux, que la marchandise revenue au point de départ ne retourne immédiatement dans le marché avec comme seul changement, une nouvelle étiquette et une nouvelle date de péremption. L’arrivée de Lesieur et de son partenaire français mettra-t-elle un peu d’ordre dans un secteur “endormi“ par l’absence d’une locomotive? Du côté des fabricants de Koutoubia, cette concurrence semble plutôt être la bienvenue : «Le marché est en pleine expansion. Au moins, maintenant, on aura affaire à des concurrents mieux structurés», explique Abassi Ouadi, responsable des Grandes Surfaces. Pour ce cadre, l’impact de l’investissement de la filiale de l’ONA sera fatal pour certaines marques qui vont disparaître des rayons des grandes surfaces. La distribution reste le point faible du secteur. Les producteurs cherchent au maximum à faire leur beurre sur le taux de fécule car, à l’arrivée, les coûts de distribution sont élevés. Gérante de la société Charcuterie Miami, employant 20 personnes à Berchid, Hayat Berka Lemfarreg en sait quelque chose. Une grande surface de la place lui ferme la porte depuis une année. «Ils nous ont demandé au début des échantillons, jugés d’ailleurs excellents. On a signé le contrat par la suite. Et depuis, plus de nouvelles. Cela fait plus d’une année ». Chez d’autres PME-PMI de la place, on n’est pas prêt d’oublier l’expérience de la grande distribution. «Metro nous exigeait 2 à 3% du chiffre d’affaires, sous forme de RFA (remise de fin d’année), et des frais de «coopération» s’élevant à 240.000 dirhams, explique la gérante. Résultat : «nous avons jeté l’éponge dès la première année !». Chez d’autres grandes surfaces, les tarifs restent aussi élevés, entre des remises de 5% et des taxes de 250 DH par produit (pour payer le code- barre). Le tout en plus d’un pourcentage dit de «coopération » dont il est difficile d’en expliquer les tenants et les aboutissants.
En raison du coût élevé de distribution dans les grandes surfaces, les entreprisses de moyenne structure se rabattent sur la vente directe.