A moins de 80 kilomètres au sud de Casablanca, sur la route côtière, se situe la ville d’Azemmour, que certains de ses fidèles habitants appellent la « ville fantôme ». Ils l’ont baptisée ainsi parce qu’elle est oubliée, marginalisée et considérée comme ces petits patelins parsemant la route entre les grandes villes du Royaume. L’on parle souvent de l’axe Casa-El Jadida sans mentionner Azemmour. Pourtant, il s’agit d’une ville riche en histoire, de sites touristiques et de potentialités économiques. C’est en 667 (45 de l’hégire) que cette cité adoptera l’Islam grâce à l’Imam omeyyade, Moussa Bnou Nossayr qui ne l’a quittée qu’après y avoir construit une mosquée et laissé sur place des fqihs. Vers 742 (124 de l’hégire), la ville fait partie du Royaume de Bourghouata qui s’étendait de Safi à Salé. Mais c’est en 1072 (454 de l’hégire) qu’elle fera la connaissance de l’un des grands sultans du Maroc, en l’occurrence, le sultan Almoravide Youssef Bnou Tachfine. Quand ce dernier visita à Azemmour avec ses troupes, il décida de dresser le campement au bord du merveilleux fleuve Oum Errabiâ qui serpente la région pour rencontrer l’océan atlantique dans un rendez-vous éternel…à Azemmour. Depuis, la ville est gouvernée, comme toute la partie occidentale du Maroc (entre Azemmour et Souss), par Tamimi, le fils du même sultan, au nom de son illustre père.
C’était en 1077 (469 de l’hégire). Quelques années plus tard, elle connaîtra la construction d’un port d’où partaient une trentaine de navires pour prendre part à l’expédition d’Andalousie et participer à la fameuse bataille de Zellaqa. Pourtant, ce sont les mêmes Almoravides qui détruisirent cette ville vers 1144 (538 de l’hégire), faisant disparaître par la même les industries locales dont ce qui en restait fut transféré à Salé. Un autre grand sultan Almohade, Abdelmoumen, qui va occuper toute la région des Doukkalas, lui redonnera vie par la suite. Au fil de l’histoire et après le passage de différents représentants de khalifes, l’ère du mercantilisme fera en sorte que la ville connaisse la première attaque des Espagnols, le 27 juillet 1480.
Une année après, Azemmour et sa région sont soumises au roi Portugais, Jean III. A cette époque, les aloses (poisson connu sous le nom de Chabel) constituaient la base de l’économie de la ville grâce au port d’Oum Errabiâ. Ce poisson venait de l’océan pour pondre ses oeufs dans les eaux douces du fleuve ; sa valeur était inestimable, au point que le roi portugais établit un tribut de 12 000 poissons par an. Hélas, cette activité a totalement disparu de nos jours. Le port n’existe plus depuis longtemps, et le fleuve connu une sévère vague d’ensablement qui empêcha petit à petit les aloses d’atteindre l’oued. En fait, Oum Errabiâ est affaibli par les barrages qui y sont construits. Ainsi le courant, autrefois fort, qui empêchait l’ensablement n’existe plus. Azemmour est dotée de potentialités et de ressources naturelles qui devraient faire d’elle, en principe, une parfaite station balnéaire. Il y a la mer, le fleuve et la forêt. Mais paradoxalement, la plage liée historiquement à la ville dépend d’une commune rurale, celle d’El Haouzia !! Une partie de l’oued Oum Errabiâ dépend de la commune rurale de Sidi Ali Ben Hamdouch. Du coup, Azemmour s’est retrouvée comme un oiseau sans ailes : impossible de décoller.
La situation financière de la municipalité d’Azemmour laisse à désirer, même avec un budget général d’un milliard et sept cent millions de centimes. Environ un milliard et deux cent millions de centimes sont réservés au budget de fonctionnement (soldes et payes des fonctionnaires et des employés de la municipalité). Et sur les 500 millions restants, 111 couvrent les frais de «l’eau et l’électricité». Comment gérer une ville avec seulement moins de 400 millions et faire en sorte d’avoir un excédent budgétaire pour s’occuper des infrastructures ? A signaler que le problème ne se situe guère au niveau de la gestion.
D’ailleurs près d’un tiers de ce budget est alloué par l’Etat (environ 1 milliard cent millions de centimes) qui entre dans le cadre des subventions réservées aux communes pauvres. Les ressources sont très limitées, avec un souk hebdomadaire et quelques loyers. Il est clair que pour que cette ville puisse retrouver son vrai visage, il faudrait revoir le découpage administratif.
Actuellement, Azemmour est située à près de trois kilomètres de l’embouchure d’Oum Errabiaâ. Elle est divisée en deux parties : l’ancienne ville qui se trouve au sein des remparts et qui englobe la Qasba et la Médina, et la nouvelle ville qui est constituée de quartiers en dehors de l’enceinte. Les remparts sont formés en maçonnerie de moellons smillés, ils sont couronnés d’un chemin de ronde d’environ deux mètres de largeur. Ce chemin de ronde fait communiquer entre plusieurs bastions appelés en arabe Bordj.
Le côté mythique d’Azemmour est très connu à travers tout le Maroc, notamment grâce à l’existence de deux saints, un homme et une femme, en l’occurrence Moulay Bouchaïb et Lalla Aîcha Lbahriya. Leurs Mausolées respectifs connaissent de nombreuses visites tout au long de l’année avec un afflux particulier en été. Avec l’absence totale d’infrastructures d’accueil, de divertissement et d’animation, c’est le désordre et l’anarchie qui marquent ces activités soi-disant touristiques.
En plus, la visite des deux sites est incontournable pour plusieurs intéressés. La légende raconte que Lalla Aîcha Lbahriya se trouvait en Irak et fut fascinée par le wali Moulay Bouchaib et sa baraka. En venant pour lui rendre visite elle rendit l’âme avant de traverser Oum Errabiâ.
C’est ainsi qu’elle fut enterrée la où se trouve son Mausolée, tandis que celui de Moulay Bouchaib se trouve sur l’autre rive. Ce dernier vécut à la fin du régne des Almoravides et au début de celui des Almohades. Moulay Bouchaib mourut en 1166, et on dit qu’il a atteint l’age des 90 ans. La baraka de Moulay Bouchaib c’est qu’il permet aux femmes qui se rendent à son Mausolée, d’avoir des enfants de sexe mâle. Lalla Aïcha Lbahrya, elle, intéresse les femmes, célibataires qui tardent à trouver un époux. En visitant le Mausolée, ces dernières inscrivent leur nom et celui de leur prince charmant sur les murs, puis vont chercher de l’eau dans le puits de Lalla Aîcha avant de se baigner avec et de se débarrasser définitivement de leurs dessous, pour chasser le mauvais sort. Il ne leur reste plus qu’à se préparer à accueillir l’arrivée imminente du gars de leurs rêves. D’ailleurs, c’est à ce phénomène qu’incombe la floraison de la prostitution dans la région. Cela existe jusqu’à nos jours. Mais au-delà de l’aspect marabout, la ville mérite une sérieuse attention. Etant donné les potentialités dont Azemmour est dotée, il est temps de lui donner l’intérêt qu’elle mérite. C’est la même terre qui a engendré la défunte peintre Chaibia Talal dont les tableaux reconnus jusqu’en dehors des frontières, ont toujours été marqués par les couleurs d’Azemmour.