«Qui désire faire un pèlerinage, il lui suffit d’aller à Salé pieds nus ». Un adage qui en dit long sur cette ville voisine de la capitale. Sur la rive droite du oued Bouregreg, un écrin formé de murailles vieilles de dix siècles s’ouvre sur un monde où le temps semble s’être arrêté. Bienvenue à Salé, le musée à ciel ouvert ! La ville aux mille et un saints plonge ses habitants dans la méditation et la prière en ce mois de jeûne. Il ne se passe pas un jour, tout au long de Ramadan, sans que les zaouïas de Sidi Benâcher, de Sidi Abdellah Ben Hassoun ou de Sidi Ahmed Hajji n’attirent beaucoup de fidèles. Les Slaouis viennent s’y réfugier dès que possible pour prier, car, pour eux, Ramadan, c’est l’occasion où jamais de voir ses vœux exaucés. Maladie, angoisse, mariage, ou autre, les prières au pied des mausolées apportent un soulagement immédiat aux cœurs les plus meurtris. Des femmes et des hommes veillent à s’y rendre le plus souvent, quitte à ce que leur visite soit quotidienne. Une coutume ponctuelle à laquelle plusieurs Slaouis se sont pliés beaucoup plus par « hérédité » que par croyance.
Ramadan à Salé ne peut se comparer aux autres, il est bien spécial. Au sein des vieilles maisons garnies de zellige, l’attachement des familles à leurs ancêtres est éternel. Tout commence la veille du Ramadan, le 29 Chaâbane : «Les Neffara se mettent en groupe et viennent à la grande mosquée pour surveiller l’apparition du croissant lunaire.
Dès qu’ils le voient, ils en informent les Salouis en disant : «Naâm Allah msakoum Ramdan ha houa jakoum !» (Bonsoir, le Ramadan est là), raconte Noureddine Krombi, un des Slaouis les plus attachés à sa ville au point d’en devenir l’une de ses références. M. Krombi explique qu’aucune famille à Salé ne peut véritablement goûter au changement de Ramadan sans s’y préparer comme le voudrait la coutume. Sur le plan culinaire, la «Zamitta», une poudre brune préparée à base de blé, de légumineuses, de fruits secs et d’autres ingrédients, est l’une des préparations de Ramadan les plus appréciées par les Salouis.
Tout aussi appétissants et indispensables à la célébration du mois de jeûne, Sellou et la Chebbakia au miel pur sont des composantes essentielles de la table slaouie. «A la rupture du jeûne, on prend une datte et un jus de fruits avant d’aller à la mosquée. Au retour, un bol de Harira est indispensable pour le repas du Ftour», confie en souriant ce Slaoui. A Salé, certaines familles choisissent de prendre le Ftour et le dîner en même temps. Mais d’autres ne changent pas de programme. Après la Harira, c’est le verre du café au lait qui prend place avec les succulentes crêpes faites maison: rghaïfs et baghrirs.
Les visites de proches ou d’amis au cours de ce mois sacré se font de plus en plus nombreuses ainsi que les invitations. «Les familles salouies veillent scrupuleusement au renforcement des liens familiaux et plusieurs d’ailleurs ont toujours des invités au Ftour qu’on retient bien sûr au dîner», affirme M. Krombi.
Le respect de la famille s’impose tout comme le respect de la religion. Les Slaouis ont la réputation d’être qualifiés de conservateurs, car ils sont, effectivement, très attachés à leur foi. La prière et la lecture du Coran occupent une grande place de leur quotidien pendant Ramadan. Toutes les mosquées de la ville et elles sont nombreuses, sont archicombles à l’occasion. «Je pense que Salé possède plus de 140 mosquées. Dans chaque quartier même de trente personnes, on trouve au moins une mosquée. A Bab Hssaïn, on a sept mosquées appelées “Rjal Al Hafra“», tient à souligner M. Krombi. Le mois de Ramadan est aussi l’occasion de se détendre et Salé ne déroge pas à la règle.
Les familles sortent ensemble le soir pour faire un tour de Bab Bouhaja passant par le boulevard de la Résistance arrivant à Bab Lamrissa. Des balades durant lesquelles, les Slaouis ont l’occasion de visiter les expositions d’artisanat et de produits alimentaires qu’organisent annuellement les autorités locales. Et pour se reposer après une longue marche, quoi de meilleur que de s’asseoir dans un jardin garni de fleurs et il y’en a de plus en plus à Salé dans la médina et un peu plus loin, à Bettana et à Hay Salam. Pour les amoureux du Malhoun et de la musique andalouse, les Slaouis le sont presque tous, une soirée est prévue le jeudi 12 octobre à l’Association Bouregreg.
Les membres de celles-ci auront certainement du mal à gérer l’organisation vu l’affluence que connaissent ces soirées de musique andalouse à Salé. Car au-delà de la volonté de passer une belle soirée, il ne s’agit là encore pour les Salouis que d’une autre preuve de leur dévotion pour les coutumes de leurs ancêtres.