Six heures du matin. Ali ouvre la portière de sa petite voiture jaune. Une nouvelle journée qui commence pour ce conducteur de taxi qui fera le tour de Salé pendant des heures et des heures. Alors, des vacances en vue ? La question fâche Ali qui lance : «Des vacances ? Et qui travaillera à ma place ? Si je quitte le taxi pendant quelques jours, je n’aurai plus de source financière. Non, non… Les vacances c’est le chômage assuré !». Une myriade de raisons, Ali n’a plus envie de s’arrêter de se plaindre comme s’il n’attendait que l’occasion pour vider tout ce qu’il avait sur le cœur: «Vous savez, la fonction de chauffeur me semble être l’emploi des moins chanceux.On n’a pas de garantie ni de sécurité sociale.
Quand on ne roule pas, on ne roule plus !». N’espérez pas avoir une réponse différente d’un taximan. Se sentir obligé de travailler pour s’assurer un revenu veut dire ne pas disposer d’un temps libre pour des vacances souvent méritées. Une frustration qui légitime la colère surtout des pères de famille. Durant les vacances de leurs enfants, ils se sentent doublement frustrés par la nécessité (parentale) de leurs consacrer un peu de temps et de leur offrir un voyage. «Je ne peux jamais être libre pour mes enfants. Alors, c’est leur mère qui s’en occupe. Elle les emmène passer quelques jours chez l’un de nos proches. Sinon, je n’ai d’autre choix que de leur offrir une petite sortie un après-midi à la plage ou au zoo», confie Ali. Yahya, lui, aussi, n’a pas de congé. Il travaille même plus avec, parfois, des horaires d’enfer : 24h/24, 6 jours sur sept. Ce jeune homme, résidant à Casablanca, est chauffeur de poids lourd. Les gros camions, Yahya les conduit de jour comme de nuit et à travers toutes les villes du Maroc.
Des vacances, il n’en a pas, mais, pour lui, ce n’est vraiment pas un souci. «Non, moi je me sens vraiment libre. Je parcours tout le Maroc pour transporter des marchandises et je ne sens pas que je travaille», affirme-t-il. Pour Yahyia, le célibat est certainement pour quelque chose dans sa façon d’appréhender le travail même s’il ne le confirme pas : «En fait, je me dis tout simplement, que je dois prendre la vie à la légère… Sinon, vous savez, on n’est jamais content». Philosophie, thérapie ou les deux, peut-être, à la fois. En tout cas, Yahyia donne l’impression d’avoir de l’enthousiasme à en revendre.
Son métier, il a appris à en faire sa vie et non plus un simple gagne-pain comme pour la majorité. Bonne solution, puisque ce chauffeur de poids lourd transforme la conduite d’un camion en petite aventure quotidienne : «Cela me donne l’opportunité de visiter plusieurs régions. Chaque jour, je suis dans une ville différente où je fais connaissance avec plein de monde. J’ai été, par exemple, à Zagora, Rissani, Essaouira, El Hoceïma…» La liste de son périple se prolonge tout aussi que son envie de ne pas quitter ce travail. «J’ai le dimanche pour me reposer. J’ai pris goût à cette vie de nomade et je m’imagine mal dans une administration ou dans un boulot avec des horaires fixes et des congés fixes», dit-il convaincu. Situation familiale, passion pour le métier…Il y a aussi le souci de rendement, dans la profession libérale, qui réduit les congés des salariés à des durées minimum.
Des vacances d’une semaine tout au plus et à des intervalles qui dépassent parfois une année. «Je n’ai pas pris de vacances depuis septembre dernier. Cette année, je ne sais pas si on acceptera ma demande de congé ou pas. Vu qu’on est en sous-effectif, je dois m’attendre à un refus !», s’inquiète Hatim, salarié dans une entreprise à Casablanca. Quelle que soit la saison, le travail se transforme, dans ces cas, en une spirale d’où il est presque impossible de sortir. Difficile de se séparer d’un maillon de la chaîne, comme le veut la logique. Alors, pour ces salariés, on prend son mal en patience et on apprend à se contenter du week-end pour s’offrir un peu de temps libre.
La règle n’est pas la même pour d’autres métiers qui connaissent, tout particulièrement, une effervescence en été. Serveurs, hôteliers, vendeurs dans les boutiques ou encore traiteurs, cuisiniers… L’été n’est pas synonyme de repos, mais plutôt du contraire. «Plein de boulot, les commandes atterrissent en nombre et je peux vous assurer que j’aurais à travailler jusqu’au mois de Ramadan», indique ce traiteur en montrant son registre.
Dans ce local qui se trouve à Sidi Fateh, à Rabat, le traiteur s’organise pour les cérémonies de mariage qui tombent comme des avalanches en août, la saison des vacances par excellence. «Il faut prévoir d’augmenter le nombre de serveurs», lance-t-il à sa secrétaire. Les serveurs, justement, sont une denrée très recherchée en été. Plus chez les traiteurs, dans les restaurants, les cafés, les snacks, les pizzerias. Les vacances sont pour le client, pas pour eux qui profitent de l’affluence pour un peu plus de bakchich. La frustration est remplacée, dans ce cas, par l’épuisement. Si cela rapporte gros, tout le monde trouve son compte. Certains se créent même des boulots d’été pour améliorer leur situation financière. Un panier rempli de sachets de pépites, de fruits secs et de biscuits, ou encore des petites glacières accrochées à l’épaule, ils font le tour des plages pour vendre leur marchandise à 50 centimes de plus que l’épicerie. Un bon investissement pour ces sans-vacances.