«C’est une drôle d’idée», reconnaît Debrah, habitante d’un bidonville kenyan, en décrivant le fonctionnement d’une cuisinière communautaire alimentée par … des ordures. Une solution ingénieuse à la plaie que représentent les déchets dans les quartiers pauvres. Les ruelles de Kibera, l’un des plus grands bidonvilles de l’Afrique, sont à l’image des nombreux quartiers déshérités de Nairobi, qui ne bénéficient d’aucun système municipal de ramassage d’ordures: jonchées de détritus et d’une boue mélangée aux égouts à l’odeur écoeurante.
Pourtant, à quelques mètres des déchets, des commerçants cuisinent des «chapatis» (galettes) fumants ou des morceaux de viande. Mais depuis fin mars, un quartier de Kibera, qui abrite jusqu’à 1 million de personnes, connaît une révolution: une grosse cuisinière communautaire, dont le combustible est fourni par l’incinération d’ordures, commence à changer le quotidien des habitants, dans un pays où deux-tiers de la population vit avec moins de 1 dollar par jour.
Ce projet est pionnier en Afrique, selon le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), qui siège à Nairobi et a financé les 10.000 dollars (7.270 euros) qu’a coûtés le projet.
La masse d’ordures aux portes des habitations – et donc les risques pour la santé – a commencé à se réduire grâce à une collecte bi-hebdomadaire par une cinquantaine de jeunes chômeurs du quartier, moyennant 10 shillings kenyans (0,10 euro) par collecte. Plastiques durs, métaux et verre sont revendus. Les détritus biodégradables et certains plastiques (polyéthylène) sont eux incinérés après deux jours de séchage.
Chaque ramasseur est propriétaire des kilos d’ordures collectés, et peut, grâce à un four et des plaques chauffantes intégrées à l’incinérateur, faire du thé ou du pain gratuitement pour sa propre consommation ou pour la vente. A terme, cette cuisinière devrait «consommer» 500 kg d’ordures par jour, permettre de cuisiner des plats et améliorer l’hygiène en chauffant l’eau de vaisselle et des douches publiques attenantes. «On a passé outre le fait qu’on utilisait des ordures, parce que le bénéfice pour la communauté est beaucoup plus important», relève Tom Wainaina, 32 ans, l’un des ramasseurs. «Nous voulons avoir un environnement propre et arrêter la propagation des maladies (…), ça devient cher de se soigner contre la typhoïde, la diarrhée», renchérit son voisin Meshack Nganyi, 22 ans.
Des améliorations sont cependant à apporter, notamment augmenter la température d’incinération pour parvenir à une fumée moins polluante. Le projet, qui pourrait être implanté dans d’autres bidonvilles, entre dans le cadre d’un programme du PNUE de réhabilitation du bassin des rivières de Nairobi, qui atteint «un seuil (de pollution) critique», selon Henry Ndede, chef du projet au PNUE. Quelque 70% des 3 millions d’habitants de Nairobi – qui génère 3.000 tonnes de déchets par jour – vivent dans des bidonvilles. Kibera, comme «tous les bidonvilles, est situé près du lit des rivières (…), les habitants y jettent tout: plastique, bouteilles, batteries (de voitures), métaux lourds (…) qui polluent les rivières jusqu’à l’océan Indien» et menacent la santé de dizaines de milliers d’autres habitants et de leur bétail, déplore M. Ndede.
Pour Pauline Nyota, de l’organisation non-gouvernementale kenyane Umande Trust gérant cette cuisinière, il s’agit d’un «projet humanitaire crucial: c’est un des droits de l’Homme de vivre dans un lieu propre», conclut-elle.