ALM : Vous êtes l’une des légendes vivantes de la poésie orale amazighe du Moyens Atlas de la musique Ahidous. Souhaiteriez-vous partager avec les lecteurs quelques unes des étapes importantes de votre vie ?
Oulghazi Azoguagh : Je suis né en 1937 à douar Aït Yahya. Je suis l’un des descendants de Aït Boubedman appartenant à la tribu Beni M’tir. L’histoire de mon prénom Oulghazi se résume comme suit: A la veille de ma naissance, ma mère était très souffrante. Nous avions reçu cette nuit-là la visite d’une parente «Ch’rifa» qui avait annoncé à ma mère qu’elle allait pouvoir accoucher normalement d’un enfant mâle. Elle lui a fait promettre de le baptiser Oulghazi à la mémoire de son défunt grand-père. Sa vision s’étant réalisée, ma mère a tenu sa promesse et m’a appelé Oulghazi. Mon père Jelloul était polygame
Vous l’êtes aussi ?
Absolument pas. Une seule femme, c’est largement suffisant. Je suis père de neuf enfants que Dieu me les préserve.
Vous avez été à l’école «Hammam» dans la région de Meknès, Sbaâ A’youn. Comment s’explique l’appellation de cette école ? On dirait un bain maure métamorphosé en école ?
En effet. C’était un vrai Hammam traditionnel qu’on a transformé en école. C’est là où se trouve actuellement l’antenne de la radio nationale. C’est dans cet espace que j’ai appris à lire et écrire. On n’avait qu’une seule heure d’arabe par jour et tout le reste, on l’étudiait en français.
A quelle période de votre vie avez-vous senti le besoin et l’envie de chanter des mots ?
Lorsque j’avais treize ans, j’avais commencé à assister à des fêtes de mariages, de circoncision, de bâptème… où les grands maîtres de la poésie orale, ou comme on les appellent chez nous, les «Ch’yakhs», récitaient publiquement des vers qu’ils improvisaient avec une finesse et une vitesse incroyables. J’en étais séduit. Et un jour j’ai osé entrer en compétition avec ces grands poètes. Ils m’avaient dénigré et j’ai riposté.
Un exemple de cette riposte ?
C’était le combat métaphorique des mots. On m’avait dit : «Dar Annakaba Al Khaddam Li Rabbit» (Il s’est révolté le serviteur que j’ai élevé). J’ai répondu : «A’tatni Achariâ Nowsal Wen Douzha» (J’ai le droit d’arriver à mon but et pourquoi pas vous dépasser). Et c’est ainsi qu’a démarré ma carrière de poète et d’orateur de qualité.
En quelle année avez-vous enregistré votre première chanson?
En 1979. C’était une chanson amazighe intitulée «Achabab Aâris s’wilid Inna Densar Mawlana » (Les jeunes glorifient leur souverain et honorent leur religion et leur patrie). C’est un titre qui a eu beaucoup de succès. Depuis, j’ai réussi à enregistrer plus d’une quarantaine de chansons.
Vous avez participé à plusieurs festivals musicaux au-delà des frontières, notamment en France et en Italie. Comment la décision de vous produire à l’étranger avait-elle effleuré votre esprit ?
C’est grâce à mon fils aîné Abdelwahed, musicien et chanteur, que je suis parti en France et en Italie. Il avait parlé de moi à un ami qui était chargé d’organiser des spectacles à l’étranger. Nous avions fait une tournée de deux mois et demi. C’était une réussite.
La poésie orale, c’est d’abord un don, mais c’est aussi un apprentissage qui se transmet oralement de père en fils.
C’est exactement cela. C’est une sagesse qui s’acquiert avec le temps et l’expérience. C’est aussi l’apprentissage auprès des grands maîtres.
Quels sont les thèmes que l’on retrouve au niveau de cette poésie ?
Ce sont des sujets puisés dans notre vie d’êtres humains. Une des fonctions de la poésie orale est de résoudre une situation conflictuelle. Les orateurs s’y emploient en inscrivant dans leurs poèmes, les marques (linguistiques, rythmiques, éthiques, etc.) d’un rapprochement avec leur auditoire.
L’Ahidous qui m’inspire énormément use de la technique du rythme pour faciliter l’apprentissage de ces longs poèmes souvent improvisés sur scène ou sur les places publiques. Le rythme facilite effectivement la mémorisation et la transmission orale.
L’art de la musique Ahidous comporte quatre étapes : Il y a ce qu’on appelle «Tamawit» ou «M’zouguiya», une sorte de chant polyphonique, exécuté par un seul chanteur ou chanteuse. Cette première étape est suivie par «Mouwwal». La troisième est appelée Ahidous, un merveilleux crescendo rapide et très rythmé. Le dernier moment de la musique Ahidous s’appelle «L’Khfifa» (la légère) et c’est le moment du decrescendo.
Vous avez toujours été fellah (agriculteur). Est-ce ce contact au quotidien avec la terre qui explique votre grande passion pour la poésie ?
C’est un cadre de vie qui vous procure beaucoup d’élan et de liberté. Le silence et la sérénité, la spontanéité, la pudeur et la candeur des villageois, leur générosité procurent chez vous cette envie de dire et d’éterniser poétiquement les moments forts de la vie des hommes, au quotidien.
Comment préserver cette belle et riche poésie orale à part la transmission qui n’est toujours pas évidente ?
Il faut la transcrire pour la préserver et pour cela nous avons besoin de personnes qualifiées pour une tâche aussi noble.