Jeunes et moins jeunes le connaissent. Le guerrab ne passera jamais inaperçu, habillé de son costume et de son beau et gros chapeau multicolore, aux couleurs de la diversité des paysages du Maroc. Motifs en cuivres, cuirs ou en argent, parsemant un costume d’un rouge éclatant, aux couleurs du drapeau national. Et la fameuse cloche en bronze ? Qui ne connaît pas ce son «Drin, drin» et ce refrain «El Maâ Lillah, W’lli Ata chi, Fi sabil Allah », qui éveille les soifs les plus enfouies et ce parfum de l’huile de cade «Katrane» qui anime les sens les plus refoulés? On dit souvent «Fais bouger la jarre, apparaîtra l’assoiffé». Et c’est effectivement la cas avec l’guerrab qui continue de faire fi au temps et à la cherté de la vie, demeurant ainsi malgré l’apparition des bouteilles d’eau en plastique, l’attraction de toutes les belles places du Maroc.
On les retrouve un peu partout. Ils sont dans les rues, sur les grandes places, dans les quartiers populaires, les cimentières, les souks, les jardins publics… mais pas aussi nombreux qu’autrefois. Entre hier et aujourd’hui, la situation du guerrab est en train de se détériorer. Guerrab de père en fils, Si H’med, la soixantaine achevée, au visage sculpté et martelé par les rides du temps, habite le quartier Derb Soltan à Casablanca, depuis une éternité. Il est né dans une famille de guerrab. Et depuis son enfance, il a été initié à ce qu’il considère comme métier ancestral, celui d’étancher la soif des autres. «Mais qui étanchera la mienne?»; s’interroge-t-il. Entre hier et aujourd’hui, Si H’med note l’énorme différence quant à l’importance du guerrab au sein de la société et la situation alarmante et difficile qu’il vit aujourd’hui avec sa famille. «Autrefois, les gens disaient «Bismi Allah», dès que vous leur tendiez une tasse d’eau. Ils vous offraient une ou plusieurs pièces en plus d’une bénédiction. Aujourd’hui, rares sont les personnes qui s’arrêtent au son de la cloche. Et s’ils marquent un arrêt, ils vous demandent: les tasses sont-elles propres, l’eau est bonne ou pas ? Et souvent ils détournent le regard et s’en vont. Et pourtant, Dieu m’est témoin, j’ai grandi dans ce métier et j’ai vu mon grand-père ainsi que mon père nettoyer à maintes reprises les tasses, les faire briller au quotidien, laver la «Guerba» faite en peau de chèvre, la retourner, la faire sécher au soleil et la remplir d’eau douce et fraîche. C’est tout un rituel de propreté. Au temps de nos ancêtres, c’était très sacré, le métier de guerrab. C’était souvent une personne très pieuse, propre comme pas possible», se remémore avec nostalgie, Si H’med. Quant à Houcine, 68 ans, de la ville de Meknès, La situation financière du guerrab dépend de la haute saison. «On nous demande souvent de nous arrêter devant des cars de touristes, pour faire un peu de folklore. Les touristes eux, ne boivent pas l’eau de la «guerba», ils vous demandent par contre de poser pour eux ou de prendre une photo avec eux. Ils sont souvent généreux. Mais ce n’est pas toujours rose. Car vous avez des intrus qui se font passer pour des guerrab et ignorent tout du métier», explique Houcine. Être guerrab ou porteur d’eau, c’est aussi participer, indirectement au mouvement mondial qui œuvre pour que l’eau ne soit plus une marchandise et que l’accès à l’eau devienne un droit universel.
Car de grandes causes sont parfois nécessaires à de petits effets. Malgré la cherté de la vie et les difficultés, les guerrab continuent de végéter dans les grandes et petites villes. «Autrefois notre métier se développait à l’aise. L’eau était abondante. A Meknès, il y avait énormément de sources d’eau douce. Ce n’est malheureusement plus le cas aujourd’hui. Pour remplir nos guerba, nous sommes obligés de faire des kilomètres à pieds pour trouver l’eau du robinet», se désole Driss guerrab de la région de Boufkrane, à Meknès. Désolante est cette réalité qui fait qu’aujourd’hui le guerrab se métamorphose en mendiant. On peut être guerrab de père en fils, mais aussi par nécessité. Rencontré à Marrakech, Lehcen, guerrab depuis seulement cinq années, 45 ans et père de quatre enfants déclare : «J’ai été ouvrier dans une usine qui a fermé. Je me suis retrouvé sans ressources financières me permettant de subvenir aux besoins grandissants de ma famille. J’ai essayé tous les métiers et j’ai fini par faire guerrab. A Marrakech, c’est selon les saisons et aussi les quartiers. Pendant l’été, ça bouge un peu, mais après, c’est la catastrophe…». Comment donc améliorer et redorer l’image du guerrab, inscrite socialement et culturellement, depuis toujours dans l’histoire du Maroc?