ALM : Quel bilan faites-vous de l’édition 2004 du festival jazz aux Oudayas ? Les rencontres musicales entre musiciens européens et marocains, qui constituent la particularité de cette manifestation, ont-elles rempli leur mission ?
Majid Bekkas : La machine du festival étant désormais bien rodée, le festival ayant atteint un âge de maturité après neuf éditions réussies, l’édition de cette année ne pouvait être qu’à l’image de celles qui l’ont précédée. Aussi bien à travers les spectacles auxquels j’ai assisté que les enregistrements de concerts que j’ai écouté, le festival jazz aux Oudayas a donné lieu à des rencontres de très grande qualité. Il est certain que toutes les rencontres n’ont pas connu des succès. Et pour cause, réussir une rencontre musicale est basé sur deux éléments fondamentaux sans lesquels il faut s’attendre à l’échec d’une telle expérience. Ces critères ne sont autres que la volonté des artistes participants d’y prendre part, avec tous l’engagement et le sérieux que cela suppose, et une bonne préparation. Le constat est que pas tous les artistes, qu’ils soient marocains ou européens ne voulaient s’impliquer. Ce qui a donné lieu à des concerts de qualité inégale.
L’édition de cette année a également été marquée par la partcipation, pour la première fois, d’artistes venant de l’Europe de l’Est. Comment cette participation a-t-elle été accueillie ?
Il s’agit à mon avis du plus grand apport de cette édition. Le passage d’artistes de l’Europe de l’Est à permis aux artistes marocains de prendre contact avec des traditions et des styles musicaux, entrant, certes, dans la catégorie du jazz, mais auxquels nous n’étions pas habitués. Cela nous a également permis de saisir la grande qualité de ces artistes, dont le talent et le professionnalisme n’a d’égal que la très forte sympathie et la très grande curiosité quant à la musique marocaine.
Plus qu’un directeur artistique de cette manifestation, vous êtes également un musiciens connu et apprécié. Vous avez également donné naissance à un nouveau style musical : le Gnaoua Blues Music. Comment est venue cette naissance ?
Une précision s’impose à cet égard. Je n’ai pas inventé ce style, je n’ai fait que lui trouver un nom. C’est l’histoire qui a tissé des liens solides entre la musique Gnaoua et le Blues. Une histoire faite de la même souffrance, liée essentiellement à l’esclavage et l’asservissement. Je n’ai fait que concrétiser des liens qui existent déjà, l’essence étant la même d’un côté comme de l’autre de l’Atlantique. Le Blues et le Gnaoua sont pour moi l’expression d’un même esprit, d’une même quête de liberté, d’un même cri contre l’injustice, mêlée de la même spiritualité.
Que pensez-vous de la musique au Maroc? Son présent étant peu reluisant, a-t-elle un avenir ?
Il ne faut pas se mettre le doigt dans l’oeil. Il faut revoir notre propre conception de notre musique si l’on veut un jour participer à l’émergence d’une musique marocaine digne de ce nom. Il n’y a qu’à voir l’engouement que suscite la musique de synthèse chez les artistes marocains, pour se saisir du degré du sous-développement de notre musique. Les musiciens marocains manquent malheureusement de curiosité. Ils ne se renseignent pas sur ce qui se passe ailleurs et se satisfont du peu que leur offre la technologie, pas très à la pointe par ailleurs, et les boîtes à musique. Ils laissent, au passage de côté, un riche patrimoine de musique traditionnelle qui peut servir de base à toute création. Ce constat fait rire, tellement il est ridicule. Mais c’est ainsi que vont les choses. Sans parler de l’absence d’écoles de musiques au Maroc. Il ne suffit pas, par exemple, de s’auto-proclamer musicien de jazz pour l’être. Cela suppose des études et un travail dont très peu de marocains peuvent se targuer. Des espaces où les musiciens peuvent se produire manquent également et «terriblement» au Maroc. C’est dire que tout est à construire et à refaire.