Un commissaire de police se présente, embarque trois d’entre eux –Mustapha Laarej, Abdelaziz Laarej et Maallem Tahar- dans une Fiat qui les dépose à l’entrée du Cabinet royal. Le responsable du bureau de presse les fait pénétrer à l’intérieur. Au bout de vingt minutes d’attente, M. le directeur du Cabinet vient leur demander l’objet de leur visite. Quand ils l’informent qu’ils représentent un groupe d’invalides de la résistance, de veuves et d’enfants de martyrs venus exposer à Sa Majesté le Roi leurs problèmes et lui exprimer leurs désirs, il leurs répond que chaque administration a des compétences déterminées, et que les siennes à lui se limitent au domaine des réclamations et pétitions. Les audiences, ajoute-t-il sont du ressort du directeur du Protocole. Si vous ne me croyez pas, vous pouvez toujours aller demander au directeur du cabinet militaire…
Alors, ces résistants handicapés, ces veuves et ces orphelins –tous réduits à cet état parce qu’ayant combattu pour faire recouvrir à ce pays sa liberté et son indépendance- se rendent à nouveau, à 18h, aux locaux du Protocole. Là, un des adjoints du directeur les reçoit. Si vous avez une pétition à soumettre à Sa Majesté, leur dit-il, confiez-la moi, je me chargerai de transmettre. Ils répondent qu’ils n’ont rédigé aucune pétition, que tout ce qu’ils désirent est d’être reçus par Sa Majesté le Roi, ultime recours qu’il leur reste, les portes des administrations s’étant toutes fermées à eux.
« Nous avions auparavant rempli les cartes que l’on nous avait demandé de remplir, avec le nom de chacun de nous et l’objet de notre visite, poursuivent les résistants en nous narrant leur mésaventure. Après quinze autres minutes d’attente, l’adjoint du directeur du Protocole revint nous voir : allez vous-en, nous dit-il. Revenez demain à 17h »
Puis, poursuivant leur narration simple et franche : «Comme nous avions entendu dire que le Roi avait l’habitude de sortir, tous les jours à 7h, par le portail des Touargua, nous nous rendîmes au lieu indiqué dès six heures, mais la police nous obligea à remonter dans le véhicule que nous avions emprunté pour venir de Casablanca. Nous obtempérâmes sans opposer la moindre résistance. En attendant, nous convînmes de déléguer un groupe de cinq hommes et trois femmes pour poursuivre les tentatives en vue d’obtenir une entrevue avec Sa Majesté le Roi. Alors, une autre voiture de police –de marque Fiat, également- vint prendre trois d’entre nous, Mustapha Laarej, Abdelaziz Laarej et Hassan. Le commissaire de police qui était à bord les déposa aux portes des services du Protocole et avertit les responsables de notre présence. L’adjoint du directeur vint alors nous trouver, un carnet à la main, nous demandant qui nous étions et ce que nous désirons. Nous répondîmes que nous représentions un groupe de résistants, de veuves et d’orphelins de martyrs, et lui fîmes part des mauvais traitements auxquels nous avions eu droit de la part de la police, l’informant que nous avions par ailleurs passé la nuit dehors, sous la pluie glacée de décembre. Visiblement touché, il nous exprima sa compassion avant de se retirer. Un peu plus tard, le directeur du Protocole, qui nous avait reçus la veille, vint nous trouver : “Allez vous-en, nous dit-il d’un ton apaisant, et soyez sûrs que Sa Majesté satisfera bientôt toutes vos revendications”. A 10h, nous envoyâmes au Palais royal un télégramme où nous demandions à être reçus par Sa Majesté, tout en mentionnant les abus et mauvais traitements dont nous avions été victimes. Nous restâmes ensuite là, à attendre, jusqu’à ce que –sur les ordres du Protocole- la police vînt, à 17h, nous demander d’évacuer les lieux, ce que nous refusâmes de faire, exigeant que l’on nous fixât un rendez-vous pour être reçus par Sa Majesté le Roi. Devant ces tergiversations répétées et ces traitements humiliants, et comme nous avions entendu dire que Sa Majesté était non loin des lieux, nous élevâmes nos voix, espérant ainsi nous faire entendre par elle. Là, pris de panique, hors de lui, le directeur du Protocole ordonna aux éléments de la police de faire quitter les lieux par la force à ceux d’entre nous qui n’étaient pas invalides, et de jeter les autres hors des locaux des services du Protocole. Comme certains d’entre nous étaient amputés d’une jambe, d’un bras –voir plus- ou privés de l’usage de leurs membres, il y eut des chutes et des blessures, à cause de l’excès de zèle dont la police fit preuve en exécutant les ordres qui lui avaient été donnés. La poursuite continuera jusqu’aux portes du Mechouar. Là, nous serons à nouveau forcés de remonter dans notre véhicule, et ordre sera donné à notre chauffeur de quitter immédiatement la capitale. La police nous conduira, sous bonne escorte, à vingt kilomètres de la ville. »
L’article finissait ainsi : « C’étaient là les faits comme ils se sont déroulés, exactement comme nous les rapportions dans le numéro d’hier. Nul besoin de plus de commentaires ni d’explications. »
Par Mohammed Abed al-Jabri