Etape transitoire et gouvernement de coalition
Les négociations d’Aix-les-Bains aboutiront à une formule prévoyant d’abord le retour du Roi Mohammed V, puis la formation d’un gouvernement de coalition, constitué par les « parties » ayant été conviées à participer aux négociations, et chargé de débattre avec la France des dispositions de l’indépendance.
Concernant le retour de Mohammed V, il fut convenu qu’il se fera en deux temps : d’abord, la déposition de Mohamed Ben Arafa, que les Français et la Troisième force avaient investi ; ensuite, la nomination d’un Conseil de conservateurs du Trône, en attendant le retour effectif de Mohammed V, pour former un gouvernement à ses côtés. Les Français nommeront en effet, le 17 octobre 1955, un mois avant le retour du Roi, un Conseil de conservateurs du Trône, dont les membres seront M’barek Bekkay, le Grand visir al-Moqri, Mohamed S’bihi, pacha de Salé, et le caïd Tahar Ouassou. Ils nommeront également Fatmi Benslimane à la tête du gouvernement. L’Istiqlal s’opposera à la constitution de ce Conseil, car « non conforme à celui proposé à Aix-les-Bains et approuvé par Mohammed V à Antsirabé ». Le parti refusera également de prendre part au gouvernement Benslimane, et demandera à Bekkay de se retirer du Conseil, ce qu’à son tour il refusera de faire. Le PDI, lui, acceptera le Conseil.
Concernant le gouvernement de coalition, les Français insisteront pour que soit nommé à sa tête M’barek Bekkay –présenté comme une personnalité impartiale- et pour qu’y participent toutes les parties conviées aux négociations d’Aix-les –Bains. Les membres du Comité exécutif de l’Istiqlal se réuniront à la mi-novembre 1955 à Madrid pour déterminer la position du parti vis-à-vis de ces événements, position qui devait être soumise au «Congrès extraordinaire», convié pour débattre de la question. Seront présents à la réunion de Madrid Allal Fassi, Balafrej, Mohamed Yazidi, Omar Benabdeljalil, Abderrahim Bouabid et Abdelkebir Fassi. La martyr Mahdi s’absentra, étant retenu à Rabat par les préparatifs du Congrès. La réunion de Madrid débouchera sur deux résolutions : 1- Ne faire aucune concession quant à l’indépendance intégrale du pays ;
2- Participer au gouvernement, dans le but de mettre tous les pouvoirs aux mains du Roi, pour barrer le chemin à toute immixtion des Français dans les affaires du pays par le biais de leurs amis au sein du gouvernement de coalition, avec à leur tête M’barek Bekkay, le chef du gouvernement. Les participant chargeront Abderrahim Bouabid –qui tenait toutes les ficelles des négociations d’Aix-les –Bains- de présenter cette décision aux Congrès.
4- Un congrès extraordinaire…
Le «Congrès extraordinaire» du Parti de l’Istiqlal se réunit à Rabat, le 2 décembre 1955. A l’absence massive de personnalités dirigeantes, il apparut qu’au sein même du parti, certains n’approuvaient pas –ou du moins ne soutenaient pas- ce qui allait être présenté au Congrès. Allal Fassi avait préféré rester à Tétouan, tandis que Mohamed Yazidi (alias Bouchaïb, dit la conscience du parti), était à Tanger, où il était allé se cantonner depuis qu’il savait que l’on avait accepté de prendre part à un gouvernement dont le chef n’était pas un des dirigeants du parti.
De fait, convaincre le Congrès était la responsabilité du martyr Mahdi et du feu Abderrahim Bouabid. Ce dernier présentera un rapport où figureront deux points essentiels :
– Concernant la décision de participer –aux côtés des autres parties- au gouvernement présidé par Bekkay, feu Bouabid déclarera que l’on devait accepter la présidence de Bekkay, en égard à la noble position que l’homme avait prise en août 1953. «Cela dit, ajouta-t-il, il est certain que de nombreux dirigeants et membres du parti n’accepteront cela que de bien mauvais gré».
– Concernant les compétences de ce gouvernement, Bouabid exposera la position du parti : ces compétences se limiteront à mener les négociations avec les autorités françaises, en vue de déterminer la nature des relations entre la France et le Maroc indépendant ; autrement dit, mettre fin à toute forme de souverainté française sur le territoire national.
L’organisation des affaires intérieures du pays –y compris la question de la démocratie et celle de la Constitution- reste quant à elle une affaire intérieure, concernant les seuls Marocains, et ne pouvant donc faire l’objet d’aucune négociation. Ainsi, la présidence de ce cabinet n’échoyant pas à l’Istiqlal –des personnalités issues des autres parties étant même pressenties pour y recevoir des portefeuilles importants- les compétences qui lui seront déléguées devront être limitées aux négociations avec la France, négociations dont les ficelles étaient bien évidemment aux mains de l’Istiqlal, et plus précisément d’Abderrahim Bouabid. Aucun danger n’était donc à craindre de ce côté-ci, toute décision étant assujettie à l’approbation préalable du parti. Les autres affaires, dont l’exercice du pouvoir et l’organisation de l’Etat, devaient, quant à elles, être confiées au Roi, le seul véritable garant. Cela signifiait que le pouvoir législatif devait rester aux mains du Roi, pour n’être cédé qu’à une instance nationale élue et entièrement souveraine.
• Par Mohammed Abed al-Jabri