Allal Fassi et la crise interne
Avec la franche hostilité déclarée par le Comité exécutif à l’égard du gouvernement Ibrahim dès l’investiture de ce dernier, la crise allait culminer. Allal Fassi et Abderrahim Bouabid entreprendront une ultime tentative visant à éviter le pire. Elle échouera, du fait du refus opposé par Allal à la restructuration du Comité exécutif. Je me souviens qu’étant à l’époque en relation particulière avec deux personnalités appartenant chacune à l’un des deux camps adverses, je demandai à l’une et à l’autre pourquoi le leader Allal ne pesait pas de tout son poids pour venir à bout du problème. « Le jour, me répondit le partisan de l’aile gauche, Si Allal se montre convaincu de notre point de vue. Mais dès que nous nous quittons le soir, il vire de 180 degrés. Le lendemain, en nous retrouvant, il est aussi moins convaincu qu’il avait été la veille au matin ! » Le « conservateur », lui, se montrera encore moins conciliant : « Il me déplaît, une dit-il, de voir Si Allal prêter parfois l’oreille aux saligauds (entendre les résistants) et aux communistes, tels Mahdi et Bouabid. » Je me rappelle encore que cette seconde personnalité avait essayé de me dissuader de lire l’Autocritique de Allal Fassi, sous prétexte que le leader, étant au Gabon au moment où il rédigea son ouvrage, devait nécessairement être influencé par les conditions dans lesquelles il vivait alors, ce qui impliquait, poursuivait-il, que son écrit ne représentait pas l’opinion de l’Istiqlal. Il est vrai que l’ouvrage n’était pas particulièrement apprécié dans les milieux du parti. Son auteur, certain qu’il n’allait pas plaire à ses vieux amis, prend d’ailleurs soin de préciser, dans son introduction, qu’il y parle en son propre nom, non en celui du parti.
15- Fouilles dans l’inconscient politique
Confier la formation du gouvernement à l’aile de la résistance, à l’UMT et à l’aile progressiste –celle de Mahdi- au sein de l’Istiqlal, fut une opération dictée par la nécessité de sauver le pays de l’anarchie qui le menaçait ; le sauver, non d’un infractus, mais tout simplement d’une guerre civile.
En faisant appel –dans leurs multiples tentatives visant à mater leur ennemi- aux pulsions tribales, et en excitant le sentiment de solidarité entre « populations rurales », les adversaires de l’Istiqlal n’allaient par tarder, quand la France et l’Espagne se seront mises de la partie, à perdre le contrôle des ficelles qu’ils croyaient jusque-là tenir. C’était, à proprement parler, un retour de manivelle, un véritable ressac, que seules pouvaient endiguer les Forces armées royales.
Sous la direction du Prince héritier, celles-ci interviendront, réprimant les rébellions dans le sang.
Les médiateurs de naguère, qui auront prêté leurs services pour tenir les ficelles, rejoindront quant à eux le bercail, assoupis par l’ombre douillette des belles promesses.
Leurs dossiers seront conservés à toutes fins utiles. Avant de clore la narration de ces événements et luttes politiques –où il aura été usage de moyens non politiques- il sied de fouiller quelque peu dans l’inconscient dont procédaient les leaders de l’opposition mobilisés pour mater l’Istiqlal.
• Par Mohammed Abed al-Jabri