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Souvenirs de « Al-Tahrir » (7)

© D.R

Aussi bien informés de nos adversaires qu’ils l’étaient eux-mêmes de nous…
Nous ne disposions évidemment d’aucun appareil d’information organisé. Néanmoins, le sentiment patriotique, l’impossibilité, pour certains, de continuer à soutenir indéfiniment l’injustice, firent que de nombreuses personnes, à des niveaux différents de l’autorité, se chargeaient de faire parvenir aux responsables de l’UNFP les informations qu’ils jugeaient importantes, ce qui d’ailleurs était souvent le cas. “Vous informera parfois un que vous n’aurez point dépêché, disait le poète arabe”.
Correspondants, militants, informateurs –dont de nombreux agents de l’Administration- concouraient donc à pourvoir la rédaction de al-Tahrir d’un nombre impressionnant de «secrets», surtout après que nous eûmes inséré sur la première page du journal une rubrique intitulée Coulisses, où nous nous appliquâmes à publier des informations –tenues pour secrètes- sous forme de textes directs ou de satires symboliques. Grâce à ce réseau d’informateurs volontaires, nous étions régulièrement mis au fait des actes inavouables et dispositions entachées d’illégalité que les fonctionnaires de l’Etat croyaient pouvoir garder secrets. C’est ainsi que les responsables, grands et petits, à travers le Royaume, se mirent à attendre chaque matin les «secrets» que Coulisses allait dévoiler. A la fonction de sensibilisation et d’aide à la prise de conscience qu’assumait al-Tahrir, s’ajoutait ainsi celle du miroir dans lequel les citoyens pouvaient voir chaque matin se refléter un compte rendu des actes condamnables et, éventuellement, une mise en cause directe de leurs auteurs. Le journal commençait ainsi à exercer sur les gouvernants, grands et petits, une censure encore plus étendue, plus franche et plus cuisante que celle à laquelle aurait pu les soumettre le plus dur contrôle parlementaire. Organe du quatrième pouvoir, il en exerçait également, en partie, deux autres : le législatif et le judiciaire.
8- Tentatives policières d’infiltration
Bien évidemment, un tel rôle de contrôleur des actions des responsables et de critique impitoyable à l’égard de certains d’entre eux ne pouvait s’assumer sans contrepartie. Le prix à payer variait en effet des saisies et suspensions, aux poursuites et peines financières, sans parler des menaces, intimidations et autres représailles. Tous les appareils de l’Etat étaient, il est vrai, dressés contre l’UNFP, ses militants et son journal. Les militants, autant que tous les citoyens honnettes et sincères, n’en étaient pas moins tous des informateurs au service de l’UNFP : des informateurs mus par les seuls patriotisme désintéressé et volonté sincère de bien faire. Nombreux étaient les stratagèmes et procédés d’intimidation, d’infiltration, d’extorsion des informations et de coups montés auxquels recouraient les appareils de l’Etat. Mais si certains s’y prenaient avec une violence surprenante, souvent injustifiable, d’autres, il est vrai, s’efforçaient de faire leur métier sans zèle inutile, faisant montre d’une objectivité qui laissait toujours à leur proie une marge de manoeuvre.
Education militaire ?
Je me limiterai à ce propos à un seul exemple me concernant personnellement, préférant taire ce qui advint à d’autres.
Un jour, comme je me préparais à donner cours devant une salle comble à la faculté des lettres – c’était à l’amphithéâtre Ibn Khaldûn – je remarquai, assis au premier rang, un individu qui n’avait pas l’air d’un étudiant. Faisant mine de n’avoir rien remarqué, je poursuivis mon cours. Quand j’eus fini, je me dirigeai vers la sortie, l’oreille aux aguets. Quelques instants plus tard, j’entendais en effet des pas derrière moi, mais continuai mon chemin comme si de rien n’était. Quand les pas parvinrent enfin à ma hauteur, je me retournai. Mon «étudiant» était là qui, me saluant, me demandait s’il pouvait s’entretenir avec moi. «Faites en marchant», lui dis-je. Il se présenta alors comme étant un officier de l’Armée Royale –il me donna son garde- qui désirait mon aide pour une étude qu’il préparait. Je demandai quel était le sujet de l’étude. «je fais partie d’un groupe de jeunes officiers qui aiment ce que vous écrivez, commença-t-il. Nous vous lisons et lisons également Abdallah Laroui. J’ai personnellement lu votre ouvrage sur les problèmes de l’enseignement, ainsi que nombre d’articles que vous avez écrits au sujet des fondements idéologiques des théories pédagogiques. Comme je prépare une étude sur l’éducation militaire, que je compte présenter à l’etat-major, je me suis dit que vous pourriez peut-être m’aider.» Je répondis que j’avais en effet assez abondamment écrit au sujet de l’éducation et de l’enseignement, mais je n’avais jamais abordé l’éducation militaire. J’ajoutai que j’étais par ailleurs pris, que j’allais réfléchir à la question. Il pouvait, s’il le désirait, me retrouver la semaine suivante à la même heure et au même endroit.
Le vendredi suivant, il était là. Il assista au cours, et vint me retrouver quand j’eus fini. Je l’invitai alors à me suivre dans la salle de réception du département de philosophie.
Quand nous eûmes pris place autour de la table, je lui demandai de me donner plus de détails sur l’étude qu’il préparait. Il glissa alors dans sa mallette noire une main qui y resta une seconde de trop avant de sortir, munie d’un crayon et d’une feuille de papier. Il ne m’en fallait pas plus pour tout comprendre… Mon interlocuteur se mit alors à parler de la nécessité de pourvoir les soldats d’une véritable éducation. «Ils sont formés sans aucun arrière-fond idéologique. Même la discussion ne leur est pas permise, etc.» Je n’étais bien évidemment pas dupe. Aussi, me mis-je à lui débiter un discours sur l’armée spartiate ! Il m’écouta d’abord, détouré, avant de m’interrompre : «Non ! dit-il.
Ce dont nous avons besoin, c’est une formation idéologique, une éducation libérale, qui permettre au soldat d’exploiter au mieux ses capacités et de s’ouvrir au monde !» Je répondis : «Concernant l’idéologie, le Maroc n’est pas un Etat idéologique, mais un pays qui a ses propres système et traditions. Quant à l’éducation libérale, je pense qu’elle est en opposition avec l’idéologie. L’éducation militaire, elle, reste une éducation dirigée, même dans un pays comme l’URSS.»
Quand nous eûmes fini, il me dit, comme nous quittions la salle : «J’insiste pour vous inviter à déjeuner, afin que nous puissions finir notre entretien. Je répondis que je devais me rendre à Casablanca ou j’avais rendez-vous, qu’il pouvait toujours revenir me voir la semaine suivante, même heure, même endroit. Je lui fournis également mon adresse et mon téléphone, pour une éventuelle consultation urgente.
Sur ces entrefaites, nous nous quittâmes. Je ne devais plus jamais revoir mon étrange visiteur…
Est-il besoin de faire un commentaire… C’était au début des années 80…

• Par Mohammed Abed al-Jabri

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