La vie de Zouhair Rafa a été tout sauf un fleuve tranquille. Né à "Souk Chamal", l’une des rues du célèbre quartier commerçant casablancais "Garage Allal", il n’imaginait jamais que sa vie allait tourner un jour au cauchemar, ni de se voir associé à un dangereux groupe terroriste responsable du carnage de Madrid, le 11 mars 2004. Celui qui soufflait, le 15 juin dernier en prison, sa 28ème bougie, est le fruit d’un mariage qui n’allait pas résister longtemps entre Amina et Azeddine. Ces derniers rompent au moment où Zouhair a atteint ses deux mois. Fouzia, sa tante paternelle, allait tout abandonner, à 16 ans, pour prendre soin de lui. Entre l’école primaire Moulay Ismaïl et un établissement privé pour ses premières années de collège, l’enfant Rafa allait vite se lasser des études, mais sans pour autant devenir l’un de ces jeunes délinquants qui écument les parages de "Garage Allal". A quatorze ans, sa mère, installée en Espagne, le prend avec elle et l’inscrit à une école de Madrid où il passera deux années. Par la suite, il décide de se prendre en charge et intégrer une société d’export de fruits basée dans la capitale. Avant d’atterrir comme "videur" dans un café madrilène. C’est que Zouhair Rafa était plutôt porté sur la musculation et la boxe. D’ailleurs, il a gagné plusieurs compétitions et continue de s’entraîner de manière régulière.
«C’est un jeune qui vivait sa vie sans verser dans les excès», dit de lui sa tante paternelle et mère adoptive Fouzia. Celle qui a été foudroyée par la nouvelle de son arrestation, le 24 mars 2004. «La première fois qu’il m’a appelé après son arrestation, il m’a demandé de ne rien croire de ce qui se dit sur ses présumées relations avec les terroristes», se rappelle son père Azeddine qui travaille dans le secteur du transit à Casablanca. «J’ai grandi avec les Espagnols et je les considère comme mes propres frères à qui je ne pourrais jamais faire de mal», telle était la teneur du premier appel téléphonique comme se le rappelle Azeddine Rafa.
Zouhair Rafa ne faisait pas ses prières, mais respectait scrupuleusement deux rendez-vous annuels. Il tenait absolument à passer le Ramadan et l’Aïd El Kébir avec sa tante Fouzia qu’il entoure de tous les soins. Sa dernière visite remontait au mois de février 2003, soit quelques semaines avant les attentats. Sa famille avait-elle relevé quelque changement dans le comportement de Zouhair. Son père répond par la négative. «Il continuait à fréquenter ses deux amis d’enfance et passait le clair de son temps avec Chourouk et Rania, ses deux sœurs», affirme Azeddine Rafa qui fait allusion aux deux fillettes de son deuxième mariage. En plus de Chourouk et Rania, Zouhair a un autre grand amour : sa sœur Kawtar, fruit du deuxième mariage de sa mère en Espagne avec qui il a continué à garder les meilleures relations possibles. «C’est un être affectueux et généreux», renchérit Fouzia Rafa qui précise qu’il arrivait à Zouhair de rester sans le sou au Maroc au point de vouloir abréger son séjour du fait que «ce qu’il avait dans la poche ne lui appartenait pas».
La famille Rafa croit dur comme fer à l’innocence de son fils. «Zouhair a collaboré avec la police espagnole dans des affaires de lutte contre l’immigration clandestine et le trafic de drogue et il a beaucoup aidé la garde civile», atteste un membre de la famille qui se dit surpris de voir son proche "récompensé" de la sorte. Zouhair Rafa, dont l’agent traitant était un policier du nom de Victor, affirme avoir alerté les autorités espagnoles à un trafic d’explosifs impliquant Jamal Ahmidane et un ressortissant espagnol. C’était en mars 2003, soit un an avant les attentats. C’est d’ailleurs la teneur du témoignage du policier devant la commission d’enquête sur ces attentats. «Quel reproche pouvait-on faire alors à Zouhair?», s’indigne un membre de sa famille. D’auxiliaire de la police espagnole, le jeune Casablancais s’est retrouvé associé au groupe de terroristes dont le procès se déroule actuellement à Madrid. Le Parquet est même allé jusqu’à requérir une peine de 20 ans de prison à son encontre. «On a falsifié les faits et il n’y a qu’à voir la sympathie dont a fait l’objet notre fils de la part des familles des victimes», affirme la tante de Zouhair Rafa.
Ce dernier, qui continue à appeler régulièrement les siens à Casablanca, clame toujours son innocence et se dit confiant dans les conclusions de la justice espagnole qui devra se prononcer dans quelques semaines. Il attend surtout de pouvoir renouer avec une vie normale et de ne plus voir les siens plongés dans une immense tristesse. Mais aussi de les voir supporter les frais, au sens propre, d’une affaire qui ne le concerne pas comme il l’affirme. Pour le moment, c’est l’une de ses tentes, basée à Paris, qui prend en charge de lui fournir le nécessaire dans sa cellule de Madrid.
Jamal Ahmidane, celui qui a mis fin à ses jours à Leganès ? Zouhair Rafa affirme l’avoir connu puisque le premier était célèbre dans les milieux de trafic de drogue, mais cela s’arrêtait là. Le jour où il avait vu que le trafiquant de drogue "tournait mal", il affirme avoir averti la police. Et soulagé sa conscience.
«Malade, je rêve de le voir avant qu’il ne m’arrive quelque malheur», déclare Fouzia Rafa qui a caché la nouvelle de l’arrestation de ce dernier, pendant plusieurs mois, à sa fille avant que cette dernière ne l’apprenne d’un membre de la famille. «Ils ont grandi ensemble et elle l’aimait tellement au point qu’une telle nouvelle aurait pu lui être fatale», explique la mère adoptive de Zouhair Rafa.
En attendant l’issue de son procès, ce dernier rêve de pouvoir recouvrer la liberté et surtout de renouer avec ses petites sœurs, sa tante, et ses amis à "Garage Allal".