ALM : Avez-vous été affecté par la pétition lancée sur Internet par les fans de BMW qui, jugeant carrément «dangereuse pour la marque» votre approche stylistique, demandaient que vous soyez «viré» ?
Chris Bangle : Je crois que la plupart d’entre nous ne sont pas encore vraiment habitués à ce qu’apporte le monde en termes de communication moderne, comme Internet. Nous n’avons pas reçu dans nos enseignements, la façon d’appréhender ce genre de média. Nous comprenons qu’un individu téléphone à un journal, ou qu’il lui écrive un courrier. Nous comprenons aussi lorsque quelqu’un vient carrément frapper à votre porte pour vous rencontrer et vous demander des explications. Mais lorsque vous voyez un nom, ou plusieurs, circuler sur Internet, vous vous posez quand même des questions : est-ce important ou pas ? Est-ce que tout le monde peut le faire ? Qu’est-ce que cela signifie-t-il ?… Or, lorsqu’on voit un article sur un journal, on sait que c’est un travail professionnel, que le journaliste a mis son nom à côté de son écrit et qu’il y a une certaine responsabilité de la part de cette culture. Mais encore une fois, lorsque vous trouvez ce genre de document sur Internet (NDLR : la pétition signée contre lui par des «béhémistes» de la première heure, lors de la sortie de l’actuelle Série 7, fin 2001), vous ne savez pas vraiment comment réagir, car il n’y a pas de véritable bien-fondé. On se dit seulement que c’est un phénomène étrange et qu’il est malheureux de ne pas avoir d’interlocuteur direct. Pour répondre à votre question, je dirais que d’un côté on ressent un certain malaise, mais d’un autre, on voit que l’entreprise pour laquelle vous travaillez vous donne un feedback direct sur votre travail et toute son approbation. BMW approuve mon design, puisque les récents modèles se vendent toujours bien et qu’ils arrivent à séduire les acheteurs. Et pour BMW, le consommateur reste la donne la plus importante.
Ne pensez-vous pas qu’il aurait été plus judicieux de présenter ou lancer la Série 7 après le coupé Z4 qui, au-delà d’être plus séduisant, véhicule mieux la nouvelle orientation stylistique de BMW ?
Vous savez, chez BMW comme chez beaucoup de constructeurs, le renouvellement d’une gamme se fait selon un calendrier chronologique. Les modèles sont liés les uns aux autres et leur remplacement se fait selon leur cycle de vie. Et, lorsque la nouvelle Série 7 est apparue, le coupé Z3 n’était pas encore arrivé à la fin de sa carrière. Mais il faut savoir que nous avons commencé à y travailler (la Série 7) depuis 1996 déjà et que c’est à ces premiers stades de développement que les responsables de la marque avaient décidé que ce modèle devait marquer une rupture radicale avec les anciennes BMW. Entre 1996 et 1997, nous avions accompli le plus gros du travail stylistique, tandis qu’en décembre 1998, la Série 7 était déjà prête dans sa mouture finale. Sa présentation aux ingénieurs s’est faite en 1999, soit près de deux ans avant qu’elle soit révélée au grand public. Donc, vous voyez que c’est bien avant la sortie de la «7» en 2001 qu’avaient été prises les décisions cruciales quant à son design, qui se devait d’être révolutionnaire à l’image de son aménagement intérieur à travers certains détails comme le système «iDrive».
Ne pensez-vous que votre approche stylistique soit un peu trop originale pour une clientèle souvent réputée conservatrice lorsqu’il s’agit de véhicules très haut de gamme, comme c’est le cas de la BMW Série 7 ?
Je peux vous dire que j’ai déjà eu une certaine expérience, intéressante même, avec cette clientèle dite «conservatrice», lors de la présentation de la précédente Série 7, en 1994, soit deux ans après que j’ai intégré BMW. «Intéressante», car cette époque était aussi celle du «booming» d’Internet et de son utilisation massive par les chefs d’entreprise. Aussi, lorsqu’on a lancé l’ancienne Série 7, nous avons essuyé certaines critiques de la part de plusieurs VIP et autres clients notables, qui justement utilisaient beaucoup Internet au quotidien. Même les plus âgés d’entres eux l’avaient trouvée excessivement classique autant par son design que par son habitacle. Du coup, nous avons dû redéfinir cette conception de conservatisme pour la clientèle du segment haut de gamme. C’est ce qui explique l’intégration de l’iDrive et d’avoir la possibilité de toute une installation multimédia. Car, pour un modèle censé être le porte-drapeau de la marque, la nouvelle Série 7 ne devait pas être uniquement redessinée, mais aussi plus novatrice et plus en conformité avec l’étiquette dynamique, avant-gardiste et high-tech, propre à la marque BMW. Et ce pas géant franchi par la nouvelle «7» est, à mon humble avis, la bonne approche que devait adopter le constructeur.
Concernant le design de la future Série 3, certaines critiques négatives jugent les feux arrière peu originaux. Qu’en pensez-vous?
J’ai l’impression que cela devient une tradition, car à chaque nouveau modèle de BMW, la presse automobile a tendance à critiquer le style des feux arrière. Alors, ne me demandez pas pourquoi, car je ne sais pas (rires). Personnellement, je trouve leur design réussi. En fait, par leurs graphiques, nous avons essayer de donner aux feux arrière de la future Série 3 une certaine harmonie et un air de famille avec l’actuelle Série 5. Mais, il faut aussi savoir que leur forme inclut une certaine projection vers le futur de la marque, ainsi qu’un minimum d’impératifs techniques. Il y a notamment ce que l’on appelle la gestion de l’écoulement de l’eau (en anglais «water management»), une donne qui est sérieusement prise en compte avant et pendant le développement aérodynamique de l’auto. Telle est la logique globale qui sous-tend le traitement des feux arrière en général.
Que compte faire BMW pour contrer deux supercars comme la SLR de Mercedes et la Carrera GT de Porsche ?
Chez BMW, le fleuron sportif s’appelle «M6», c’est-à-dire une variante GT de la Série 6. Sa philosophie est d’être une 2+2 (NDLR : quatre vraies places) et offrir des performances de premier ordre, quelle que soit sa carrosserie, coupé ou cabriolet. Vous savez, les deux GT que vous venez de citer, et que nos concurrents ont sortis l’an dernier, ne sont pas plus que des véhicules d’image. Et à ce jeu là, BMW a été le premier à s’adonner avec le coupé Z8 en 2000, qui au-delà de sa puissance, était une véritable démonstration du savoir-faire des ingénieurs de la marque, avec notamment le recours à des composants en aluminium.
Qu’en est-il de la recherche en matière de propulsion alternative et de moteurs écologiques ?
Comme vous le savez déjà, BMW s’est, depuis quelques années déjà, engagé en matière de motorisation à hydrogène. C’est d’ailleurs dans ce sillage qu’a été présenté le très performant concept «H2R» au dernier Mondial de Paris. Il est très probable que toutes ces recherches aboutissent un jour à une production de série… mais telle n’est pas la priorité actuelle du constructeur. Tout en prenant en compte des impératifs écologiques, une BMW doit répondre à d’autres critères comme la sécurité, la fiabilité, ou encore l’efficacité, mais se doit avant tout de préserver le plaisir de conduite.
Revenons au thème du design pour une ultime question, mais concernant cette fois-ci la marque Mini. Quelle sera votre approche stylistique pour ses futurs modèles ?
(Grand sourire), la Mini est cool ! Nous avons réussi à lui redonner une nouvelle identité qui a fait tout son succès. Maintenant, il est question justement d’élargir cette gamme au-delà d’un seul et unique modèle qui est la One. Telle est la vision du groupe BMW. En d’autres termes, Mini deviendra une famille, mais pour l’instant, je ne vous en dirais pas plus.