Ismaïl Alaoui réclame lui aussi une réforme constitutionnelle. Cela boucle la boucle, puisque Abbas El Fassi et avec un sérieux bémol, Yazghi a fait la même chose. Les trois mettent, cependant, en avant la nécessité de la concertation avec le Palais royal, sachant que les réformes passées, et en particulier celle de 1996 qu’ils ont votée, etaient le fruit d’un bras de fer. Dans une phase transitoire, l’évolution des institutions politiques est à l’ordre du jour de manière quasi-mécanique. Encore faut-il que les autres chantiers de la réforme évoluent au point de la rendre inéluctable, parce que les institutions bloquent . Est-on dans cette situation ?
Si des partis au gouvernement réclament la réforme des institutions, cela devrait signifier que celles-ci sont inopérantes. Politiquement, cela impliquerait un retrait du gouvernement et la revendication d’une réforme institutionnelle. Ils font l’inverse, hurlent avec les loups et sauvegardent les postes et les rentes qui vont avec. Ce débat sur la Constitution, dans le contexte actuel, est une feuille de vigne censée cacher les tares de la classe politique. Elle est aussi le reflet d’une cécité politique porteuse de graves dangers.C’est Lénine qui disait des petits bourgeois qu’ils sortent avec un imperméable l’été et une culotte l’hiver. Une revendication politique n’a de pertinence qu’en fonction du contexte historique. Aujourd’hui sommes-nous face à une montée du mouvement des masses en faveur de l’approfondissement de la démocratie, du cantonnement des prérogatives royales et tutti quanti ! Assurément non. La réalité c’est que les masses n’en ont cure et se préoccupent beaucoup plus de leur vie quotidienne. Il n’y a pas mille Marocains pour croire que la nomination de Driss Jettou est responsable de leur situation.
La réalité, c’est que ces mêmes partis ont déserté les fronts. Le front idéologique totalement cédé aux intégristes fascisants, le front syndical où ils ne gardent que des poches insignifiantes, le front social où leur image est extrêmement brouillée par leur incohérence.
La réalité, c’est que la Constitution de 1996, qu’ils ont tous votée pour faciliter l’alternance n’a pas atteint ses limites, faute d’un combat au quotidien. Ni Youssoufi ni les ministres en activité n’ont jamais fait état d’un quelconque interventionnisme. Rappelons à ceux qui veulent réformer la Constitution sans l’avoir lue que le Premier ministre est censé définir et conduire la politique générale du gouvernement. C’est exactement dans les mêmes termes que la cinquième République française parle de sa primature. Sur le plan des principes, de l’esthétique politique, une nouvelle Constitution consacrant la souveraineté populaire est une belle chose. Tout démocrate y souscrirait sans hésitation s’il n’est pas… politique. Car encore une fois, le politique est enchaîné par la phase historique et le contexte du moment. Aujourd’hui, des dangers réels guettent le Maroc : le séparatisme, l’intégrisme et la crise sociale multiforme. Si le Roi tient le manche fermement au milieu de la tempête et maintient ses engagements modernistes, rien n’est acquis. L’avancée des forces rétrogrades est réelle sans être au niveau que les mêmes petits bourgeois nous annoncent après une soirée entre copains. Ce n’est pas la limitation des pouvoirs du Roi qui fera reculer l’obscurantisme, ni qui diminuera la virulence des agents d’une Algérie dopée par la hausse des prix du carburant. La science politique nous apprend que la Constitution prend acte des rapports sociaux réels et concocte le système le plus adapté pour les gérer. La revendication de réforme actuelle n’a pas de substance parce qu’elle est conçue in-vitro. Elle en aurait s’il y avait mobilisation autour des préoccupations du peuple, de l’idée de nation. Les Marocains aujourd’hui veulent une école formatrice assurant l‘égalité des chances, une santé publique accessible, des conditions de vie dignes. A moins de leur prouver que ce sont les institutions actuelles qui les en privent, il y a peu de chance qu’ils s’intéressent à la réforme constitutionnelle. Or, si ce sont ces institutions qui les en privent, que font nos partis au gouvernement?
Les dirigeants se trompent de période, nous sommes en phase de recul et non d’avancée du mouvement des masses, les mots d’ordre ne peuvent pas être identiques. Ils auront peut-être leur réformette qu’ils présenteront comme un grand acquis. Cela ne changera rien aux rapports au sein de la société et ne les dispensera pas du combat contre l’intégrisme s’ils veulent survivre. Ils n’en ont peut-être pas conscience, mais la montée de l’intégrisme met en péril, entre autres, leur propre survie.