«Le destin c’est la politique», disait Bonaparte. Dans l’acception qui est la mienne, la politique consiste à ouvrir des perspectives à la société en fonction d’un projet, perspectives partant du réel, proposant le possible, pour avancer vers l’idéal.
Cette demarche n’est pertinente que si ses promoteurs se positionnent un pas devant les masses. Aujourd’hui au Maroc que veut le peuple? Le pain et la liberté!
Le pain c’est la question sociale. Les chiffres sont impressionnants bien que probablement très en deçà de la réalité. Plus du tiers des Marocains n’ont pas accès à une vie digne, c’est-à-dire ne peuvent se nourrir, se loger, se soigner correctement. On peut énumérer les catastrophes , appelées candidement échecs : un enseignement en déliquescence, un habitat en ruine, la santé publique qui n’est plus qu’un souvenir évanescent, un chômage aggravé par la nécessité de rattraper le gap technologique, un rapport à la fiscalité incivique, une ruralisation des villes irréversible à moins d’un miracle, un taux de croissance en trompe-l’œil et la liste peut s’allonger, malgré les efforts réels fournis.
Que proposent nos politiques face à cette tragédie ? Rien, le désert, le néant. Ils en appellent tous à la nouvelle idée à la mode, l’État, paraît-il, n’a plus de marge face au marché conquérantt. A l’opposé de ces démissionnaires, il n’y a que les sectes populistes sans perspective. Or, l’acceptation des règles du Marché mondial unique et hiérarchisé ne signifie nullement l’incapacité d’en corriger les effets. La solidarité reste l’apanage de l’État dont la première fonction régalienne est de veiller au maintien de la cohésion sociale, celle-ci étant la condition de la stabilité politique et de toute idée de projet national. Maintenant que le FMI lui-même suggère une politique sociale hardie, il est peut-être temps de remettre en cause la politique budgétaire. L’allocation des ressources actuelles est incapable de remettre dans le circuit productif les exclus, elle est surtout impotente face au Tchernobyl social que constituent les écarts constatés. Affecter l’ensemble des ressources disponibles à ce qui concourt à la réduction de la pauvreté est possible. Le Brésil de Lula le fait sous les applaudissements des institutions de Bretton-Woods. Revoir la fiscalité dans le sens d’une plus grande justice sociale est une nécessité. Enfin chercher d’autres ressources fiscales, non fongibles, adossées à un fonds social est envisageable. De cela aucun politique ne parle plus. Quant à la liberté que signifie-t-elle pour le Marocain ? Elle se résume à l’essentiel, c’est-à-dire la primauté de la règle de droit, l’égalité devant la justice, une Administration au service du citoyen, la disparition des passe-droits y compris au niveau le plus terre à terre, telle que la queue devant un guichet. Malgré les efforts fournis, le citoyen des quartiers périphériques sent que le flic ne le regarde pas de la même manière que ceux d’en haut, que son Mokaddem perçoit toujours sa dîme, qu’il a peu de chances de récupérer ses droits de manière rapide devant un juge. Sa revendication de liberté est intimement liée à une aspiration égalitaire qui a fait avancer l’humanité depuis la nuit des temps.
Nos politiques n’en ont cure. Ils préfèrent cacher leur nudité derrière une feuille de vigne qui s’appelle l’équilibre du pouvoir, l’article 19, la réforme de la Constitution. Celle-ci n’aura de sens que si elle traduit une maturation sociale, aboutissant à l’émergence d’une véritable force démocratique, inconcevable sans un projet national fondé sur la mobilisation de tous par la garantie de la dignité de tous, d’un ascenseur social en état de marche et valorisé par une mixité sociale visible à l’œil nu. En refusant de s’attacher à l’essentiel, nos politiques se condamnent à l’isolement. Ils sont de l’autre côté de la montagne, les électeurs ne peuvent les entendre. Ils ne peuvent plus prétendre en être l’avant-garde.