La révolte des banlieues françaises a tenu en haleine tous les observateurs, y compris au Maroc. C’est que, par son ampleur, le mouvement ne pouvait qu’interpeller. D’ailleurs, le fait que la France soit obligée de recourir à une loi votée pour contrer le FLN lors de la guerre d’Algérie est symptomatique à plus d’un titre et reflète d’abord le désarroi des autorités françaises. L’ordre républicain sera rétabli, parce que l’Etat va s’en donner les moyens mais aussi parce que le mouvement est resté circoncis aux populations issues de l’émigration et ne peut que s’essouffler. Parce qu’il faut bien noter que ce mouvement n’a eu aucun soutien , son modus operandi étant mis en avant pour invalider la révolte. Mais tous s’accordent que ces populations ont des raisons d’exprimer leur colère. Les mêmes chiffres s’affichent sur tous les écrans, un chômage touchant près d’un jeune sur deux, un échec scolaire effroyable, des relations avec les services de police plus que soutenues, des logements insalubres : tous s’accordent pour dire que la politique suivie jusqu’ici a échoué et qu’il faut un autre plan avec, bien entendu, plus de moyens. C’est à mon sens une attitude d’apparence courageuse, mais porteuse de nouvelles désillusions parce que, par lâcheté intellectuelle, elle se refuse à la vraie question : pourquoi ces populations sont restées en marge de la République ?
Si l’on parle d’intégration, de volonté d’appartenance commune, les soulèvements, eux-mêmes, sont un formidable signal de cette volonté. Le problème réside dans la ghettoïsation voulue et orchestrée par les pouvoirs publics dès le départ. Les entreprises françaises recrutaient dans les campagnes éloignées et proposaient aux migrants des logements précaires. Tout le monde faisait comme si cette émigration là n’était que transitoire. Après, ils eurent droit aux bidonvilles, puis aux cités. Les autres migrations ont totalement fondu dans la République au bout de deux générations, pas l’africaine au sens large parce que la République a été inconséquente et le demeure. Elle est inconséquente quand elle refuse de voir que le problème de l’intégration est politico-culturel. Polonais, Espagnols et Portugais étaient chrétiens, l’essence de l’émigration actuelle est musulmane. Et alors, me direz-vous ? La République française est censée être neutre face aux religions, pas la société. Le racisme ou la simple méfiance trouvent leur origine dans ce premier choc pour la République. Elle doit intégrer, en masse, des populations issues d’une autre sphère culturelle, le problème étant aggravé par les événements mondiaux. L’échec de la République n’est pas «budgétisable» , des milliards d’euros sont injectés dans les cités sans résultat. Par contre, on peut établir la liste des tares de la politique française :
• Partant de l’illusion du transitoire, la France a accepté dès le départ l’implication des pays d’origine. Mal lui en prit, ceux-ci ont tout fait pour empêcher l’intégration. Hassan II, par exemple, s’est exprimé contre le vote des émigrés, ce qui était une flagrante ingérence dans les affaires de la France. Aujourd’hui encore, des citoyens français font intervenir une ambassade étrangère dès qu’ils ont un problème avec l’administration. L’Islam de France voulu par Sarkozy s’est transformé en un nouveau duel maroco-algérien.
• Au lieu de casser le ghetto, tous appèllent à améliorer la vie dedans. La mixité sociale est de l’aveu de tous un rêve inaccessible. La volonté politique d’intégration s’exprimera là-dessus ou pas du tout. Car, enfin, comment veut-on que l’école de Jules Ferry joue un rôle d’intégration si les petits Maliens ne voient les chérubins de souche qu’à la télé ?
• La troisième inconséquence est le traitement spécifique réservé à l’Islam. Que ce soit sur le foulard, sur la polygamie, sur la violence faite aux femmes, au nom d’une «compréhension culturelle». Toute en condescendance anthropologique. La France a louvoyé avec ses lois. Ce faisant, elle a affaibli l’attractivité de la République et renforcé «la spécificité» le communautarisme, oubliant qu’elle est fondée sur l’individu. Devant ce bilan, une refondation de la politique française est nécessaire pour faire de ces citoyens des citoyens comme les autres. Elle n’est pas qu’économique, elle est surtout politique. En parlant politique, le plus grand bénéficiaire s’appelle Le Pen. Il ne s’est pas exprimé parce que les événements travaillent pour lui. Sarkozy devra payer sa volonté de lui piquer des voix, dès que l’histoire se sera calmée il devra payer le «Karcher» et la «Racaille». D’ailleurs qu’un ministre de la République puisse s’adresser en ces termes, même à des délinquants juvéniles est symptomatique d’une incompréhension exacerbée qui prend des relents racistes et qui n’est plus bannie de l’espace public. Au Maroc, ce n’est pas parce qu’une partie des concernés est d’origine marocaine que nous devrions nous y intéresser. Ma position est claire, ceux qui ont choisi de vivre ailleurs doivent s’y adapter. C’est plutôt parce que nous préparons les mêmes désastres. Les nouveaux complexes sont de véritables ghettos, l’école connaît l’apartheid , la mixité sociale n’existe plus nulle part. Nos quartiers à nous ont beaucoup plus de raison de s’énerver. Chaque fois qu’ils l’ont fait, nous avons eu des centaines de morts sur les bras. Et si on y réfléchissait sérieusement sans attendre la prochaine jacquerie ?