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100% Jamal Berraoui : La renaissance des syndicats

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J’ai tenu à faire un tour dans les défilés en préparation avant d’écrire cette chronique. Je voulais vérifier de visu ce que je pressentais, à savoir un retour vers les organisations syndicales. J’ai vu des troupes plus nombreuses que celles, squelettiques des dernières années, mais éloignées de celles des années 80. Parce que nous sommes en plein bras de fer entre les syndicats et le gouvernement, que les grèves se multiplient, qu’on est en phase de combat du monde ouvrier, il est normal que les syndicats se renforcent. Le syndicalisme a perdu de sa force pour diverses raisons. D’abord son émiettement, cette tradition marocaine qui veut que chaque parti crée son syndicat et son corollaire l’assujettissement du combat syndical aux stratégies politiques a démoralisé les troupes. Ensuite durant une longue période, les syndicats ont opté pour la paix sociale négociée et se sont saisis de la pratique du dialogue social, son institutionnalisation comme ils disent. Cela a eu deux répercussions majeures :
– à part l’UMT, les autres centrales ont l’image de syndicats du secteur public et effectivement lors de la dernière décennie, il n’y a eu aucun acquis pour les salariés du privé, mise à part l’AMO. L’UMT peut se targuer de quelques conventions collectives dans les secteurs les plus avancés.
– D’autres formes d’organisation sont apparues, les « Tansikyates» pour défendre le pouvoir d’achat, mais aussi des collectifs syndicaux non apparentés pour prendre en charge des revendications catégorielles abandonnées lors du dialogue social.
Les syndicats, sous la pression du milieu, montrent plus de combativité depuis quelques mois. La crise alimentaire mondiale, l’envolée des prix des produits de base, la stagnation des salaires leur donnent des ailes. La réponse du gouvernement étant très en deçà des attentes, la bataille se prépare. Il est donc normal que les troupes se mettent en état de marche et se saisissent du 1er mai pour montrer leur détermination à défendre leurs intérêts.
Ce renouveau du syndicalisme est une bonne nouvelle si l’on considère les défis auxquels le pays est exposé. La question du pouvoir d’achat est une question vitale pour des centaines de milliers de familles marocaines. Il est bon pour la démocratie qu’il y ait des organisations structurées pour encadrer la revendication et faire pression sur le gouvernement.
Le capitalisme des voyous, celui qui est responsable de la catastrophe de Lissasfa se développe. Là aussi, il est sain que face au laxisme de l’Administration, sous le fallacieux prétexte de combattre le chômage, s’érige une alliance syndicale pour la défense des droits des travailleurs.
Mais ce retour en grâce des syndicats pourrait n’être qu’un feu de paille. Le syndicalisme marocain n’a pu défendre ni son indépendance vis-à-vis de l’Etat et des partis ni son unité y compris lors des luttes ou des négociations, et encore moins la démocratie en son sein. La question de l’indépendance est primordiale dans l’histoire du syndicalisme marocain, elle explique les scissions successives et la création de syndicats bidons filiales de partis non moins bidons.
L’unité organisationnelle est un vieux rêve de militants de gauche, cependant le travail unitaire est possible et renforce la crédibilité de l’action syndicale. Les appareils par bureaucratisation abusive ont verrouillé les organisations et empêchent toute velléité d’opposition. C’est ce qui explique que des militants cherchent à s’exprimer par d’autres canaux (qu’ils finissent par instrumentaliser mais c’est une autre histoire). Le Maroc va au devant de conflits sociaux sérieux et objectifs. Les contraintes de l’Etat, de quelques secteurs peu compétitifs sont réelles. Mais, agressés dans leur pain quotidien, les Marocains d’en bas réagiront. Il est dans l’intérêt de tous que ce conflit soit encadré, sinon, c’est la Jacquerie comme en 1981.

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