Chroniques

A dire vrai… L héritage des géants

© D.R

Dans cette de prison de Robben Island, il porte le numéro de matricule 46.664. Il n’a droit qu’à un visiteur et une lettre tous les six mois. Il se lave avec de l’eau de mer froide et dort dans une cellule minuscule de deux mètres sur deux.

Sur l’île, tous les jours, il effectue des travaux forcés dans une carrière de chaux. Quand il ne va pas à la carrière, il casse des cailloux dans une des cours de la prison. Lui et ses codétenus ont tous été victimes de kératite. Il refuse les faveurs et mène toutes les actions de contestation avec les autres prisonniers, y compris les grèves de la faim.
Robben Island est le lieu pour briser la volonté des hommes récalcitrants. La sienne n’a fait que se renforcer de jour en jour.

Il récitait et faisait apprendre le poème Invictus (Invaincu) de William Ernest Henley afin d’encourager ses compagnons d’infortune.

« Dans la nuit qui m’environne,
Dans les ténèbres qui m’enserrent,
Je loue les Dieux qui me donnent
Une âme, à la fois noble et fière.

Prisonnier de ma situation,
Je ne veux pas me rebeller.
Meurtri par les tribulations,
Je suis debout bien que blessé.

En ce lieu d’opprobres et de pleurs,
Je ne vois qu’horreur et ombres
Les années s’annoncent sombres
Mais je ne connaîtrai pas la peur.

Aussi étroit soit le chemin,
Bien qu’on m’accuse et qu’on me blâme
Je suis le maître de mon destin,
Le capitaine de mon âme. »

Il a lu souvent ces vers pendant ses 27 années d’emprisonnement. William Ernest Henley disait que ce poème reflétait sa résistance à la douleur, suite à l’amputation de son pied. Le célèbre prisonnier de Robben Island, quant à lui, n’a pas été physiquement amputé. Il a été privé de 27 ans de sa vie. Il a été emprisonné le 20 avril 1964, jour où, répondant à des chefs d’accusation aussi graves que sabotage, haute trahison et complot, il prit la parole dans le tribunal de Pretoria et présenta la genèse et les buts de son engagement politique, esquissant les prémices de la future « Nation arc-en-ciel » :

« La souffrance des Africains, ce n’est pas seulement qu’ils sont pauvres et que les Blancs sont riches, mais que les lois faites par les Blancs tendent à perpétuer cette situation. Nous voulons des droits politiques égaux. Cela paraît révolutionnaire aux Blancs, car la majorité des électeurs seront des Africains. Ce qui fait que les Blancs craignent la démocratie. Mais cette peur ne doit pas se placer au travers de la voie de la seule solution qui garantira l’harmonie raciale et la liberté pour tous.

Au cours de ma vie, je me suis consacré à cette lutte des peuples africains. J’ai combattu contre la domination blanche et j’ai combattu contre la domination noire. J’ai chéri l’idéal d’une société libre et démocratique dans laquelle tout le monde vivrait ensemble en harmonie et avec des chances égales. C’est un idéal pour lequel j’espère vivre et que j’espère accomplir. Mais si nécessaire, c’est un idéal pour lequel je suis prêt à mourir. »
Libéré le 11 février 1990, il devient le premier président noir sud-africain, tourne le dos à la haine, oublie les sévices de ses geôliers et de ceux qui ont asservi son peuple et œuvre pour la concorde et l’harmonie en Afrique du Sud. En pardonnant à ses adversaires, il évita à son pays un bain de sang et la spirale de la violence. Au pouvoir, Nelson, le nom que lui a donné son institutrice, a incarné la noblesse de la politique, l’exerçant loin des combines, de la vengeance et des compromissions. Les hommes politiques n’ont pas besoin de connaître les épreuves, la guerre, la souffrance pour se hisser à ce niveau de grandeur politique. Mais ils peuvent s’inspirer du destin et des paroles du détenu de Robben Island.

 « Un bon leader peut engager un débat franc, sachant qu’à la fin, lui et l’autre doivent être plus proches, doivent en sortir plus forts. Vous n’êtes pas dans cette disposition d’esprit lorsque vous êtes arrogant, superficiel, et mal informé.»

« J’ai appris que le courage n’est pas d’avoir peur, mais d’en triompher. L’homme courageux n’est pas celui qui ne ressent pas la peur, mais celui qui la dompte. »

« Il est préférable de mener en étant derrière et de mettre les autres en avant, surtout quand vous célébrez la victoire, et que de belles choses se produisent. Vous prenez le devant en cas de danger. À ce moment-là les gens apprécieront votre leadership. »

« Le ressentiment est comme boire du poison et en espérant qu’il va tuer vos ennemis. »

« Ne me jugez pas par mes succès, jugez-moi par combien de fois je suis tombé et je me suis relevé à nouveau. »

« Les vrais leaders doivent être prêts à tout sacrifier pour la liberté de leur peuple. »

« Une action sans vision est du temps perdu, la vision sans action est simplement rêver en plein jour, mais la vision jointe à l’action peut changer le monde. »

« Ce qui compte dans la vie n’est pas le simple fait que nous avons vécu, mais la différence que nous avons faite dans la vie des autres. »

En ayant appris, et rappelé, à l’Humanité les vertus du pardon, de l’amour et du don de soi, ce géant par la taille et par la stature, est entré de plain-pied dans le Panthéon des géants de l’Histoire, au même titre que Gandhi, Mohammed V, Vaclav Havel, des leaders qui ont sacrifié leurs vies, leurs familles, leur bien-être personnel pour leurs peuples. Des géants qui, pacifiquement, ont lutté contre la tyrannie, fait face à l’oppression, opposé à l’injustice et, une fois à la tête de l’État, sont restés fidèles à leurs idéaux.

Tel est l’héritage des géants.
Adieu Nelson. Adieu Madiba.

Articles similaires

AutreChroniques

Santé mentale et pouvoir d’achat

Il nous faut faire de la santé mentale des Marocains une priorité...

Chroniques

Chère prise de parole en public

Pour prétendre à te prendre en public, toi chère prise de parole...

Chroniques

Une véritable transformation et évidence du paysage socio-économique

Le rôle incontournable de la femme ingénieure au Maroc

Chroniques

Et si on parlait culture… l’débat 2ème édition

Les Marocains sont épris de culture, il suffit pour s’en rendre compte...