Chroniques

A dire vrai… Préhistoire des uns… années de bonheur des autres

© D.R

– Maman, tu avais un smartphone quand t’étais jeune ?

– Non, répond la mère, la tête plongée dans un placard.

– Un ordinateur ?

– Non plus…

– Et… le téléphone fixe ?

– Non ma chérie.

– Ne me dis pas que vous n’aviez pas la télé !

– Eh ben non ! Nous n’avions pas la télé, rétorque la mère d’un ton passablement excédé, en se retournant vers sa fille.
Najwa, 18 ans, lève les yeux, reste coite, puis finit par dire avec une moue :

– Mais vous viviez dans la Préhistoire maman…!
La mère lève les yeux sur sa fille, la prend par la main et l’approche à elle.

– Ma fille, sais-tu ce que c’est la Préhistoire ?

– Ben… vous n’aviez rien maman ! Vous deviez vous ennuyer à mort !    
La maman éclate de rire.

– La Préhistoire a débuté avec l’apparition de l’Humanité et s’est terminée avec l’apparition de l’écriture. Autrement dit, il faut remonter à 3.500 ans avant notre ère. Moi, ma fille, ne le répète pas sur les toits, je suis née en 1948, juste après la 2ème Guerre Mondiale ! Je n’ai donc pas vécu dans la Préhistoire !

– Arrête maman ! Tu as compris ce que je veux dire. Mais dis-moi, comment vous viviez, alors que vous manquiez de tout, sans rien quoi ?
La maman s’esclaffe une nouvelle fois, prend son temps, puis dit :

– Écoute-moi bien. Combien de fois par jour nous avons l’occasion de discuter toi et moi? Nous nous croisons le matin avant que tu n’ailles au lycée, et le soir lorsque je te prépare à manger. Le reste du temps, tu es plongée dans ton ordi, tu pianotes sur ton smartphone, ou tu regardes la télé. Tu vis avec tes « amis » de Facebook plus qu’avec ton père et moi. Tu ne les vois même pas ! Tu ne les connais pas physiquement. Qu’est-ce tu partages avec eux, à part des textos et des mails mal écrits… ?

Voyant sa fille froncer les sourcils, elle ajoute :

– Remarque, nous sommes devenus tous comme ça. Nous sommes plongés dans un appareil électronique quelconque, nous nous parlons peu. La société est devenue ainsi. Ces gadgets ne sont plus des outils. Au lieu de nous être utiles, nous en sommes devenus les esclaves !

– Tu exagères maman. Ils nous sont bien utiles, avoue-le. Moi je ne peux pas vivre sans eux. Et comment elle était la société de ton temps ?

– Nous n’avions pas ces gadgets. Il n’y avait que la radio. Nous écoutions les nouvelles, la musique, les émissions de théâtre. Pas de frigidaire, pas de cuisinière, pas de micro-onde, pas même de fer à repasser. Ma mère faisait le marché chaque jour. Chaque jour, non seulement elle s’occupait de son foyer et préparait les repas, mais elle avait le temps de voir sa sœur, sa tante et plein de gens de la famille.

Najwa, les yeux grands ouverts, écoute avidement sa mère :

– Nous nous réunissions pour les repas. Nous passions les soirées ensemble. Nos parents nous racontaient des histoires. Nous rendions visite à la famille plusieurs fois dans la journée. Nous voyions nos oncles, nos tantes, nos cousins. Nos parents nous transmettaient l’histoire de nos ancêtres. Le soir, je m’allongeais près de ma mère, la tête sur sa jambe. Elle me racontait une histoire pour dormir. Nous étions proches les uns des autres. Nous nous entraidions. Durant les fêtes familiales, pas de traiteurs, ni de location de salles d’hôtel ou autres. Toute la famille se réunissait à la maison. Les tantes, les oncles, les cousins, les cousines, les grands-parents, les belles-familles, bref, tout le monde s’installait dans la maison un mois avant. Le jour, la nuit, tout le monde mettait du sien pour préparer la bouffe du mariage, les gâteaux, etc. Sans téléphone, sans télé, sans voiture, sans ordi, tu imagines tout le temps que nous avions pour partager, discuter, raconter, s’entraider, bien nous connaître les uns les autres…

– Et avant, tes parents ils vivaient comment maman ?

– Comme nous. Le monde changeait si peu que les générations vivaient pratiquement dans le même contexte que les précédentes, ou lorsqu’il y avait des inventions, elles étaient tellement espacées qu’ils avaient le temps de les digérer les unes à la suite des autres. Dans ma vie à moi, j’ai vu arriver successivement la voiture, le téléphone fixe, le frigidaire, la télé, les satellites, les gros ordinateurs, le télex, le fax, le PC personnel, le GPS, le mail, le téléphone portable, l’Internet, les smartphones, les réseaux sociaux… et ça s’est accéléré dernièrement. On n’a même pas le temps de digérer tout ça ! Plein de gens n’arrivent pas à suivre ! Ça va trop vite. Ça bouleverse nos modes de vie.

Voyant sa fille toujours pendue à sa bouche, elle poursuit :

– Bref, de notre temps, c’était plus lent, mais on ne s’ennuyait pas. On savourait le temps qui passait. On l’avait pour nous. On ne croisait pas comme des fantômes. On consacrait du temps à l’autre. On ne vivait pas dans du virtuel. Notre vie était réelle. Surtout, elle était pleine de chaleur humaine. La voilà la Préhistoire dont laquelle nous vivions !

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