Chroniques

A dire vrai… Reflets sur les eaux de la lagune

© D.R

Telle une perle dans son écrin, elle trône dans une lagune de la mer Adriatique. Les premiers habitants la bâtirent sur des pieux en chêne et en aulne enfoncés dans le sol sablonneux, dans un environnement hostile, livré au flux perpétuel des marées. Chateaubriand l’appelait la « ville contre-nature». Ses habitants aiment à penser qu’elle est l’unique ville naturelle «dans un monde contre-nature».

À l’extrémité nord-ouest de la mer Adriatique, là où finissent les cours des fleuves issus des Alpes, vivaient des pêcheurs, des mariniers et des sauniers descendants des Vénètes, ancien peuple italique intégré dans la République romaine dès le IIème siècle av. J-C.

Les invasions des Goths d’Alaric Ier et des Huns d’Attila les conduisirent à se réfugier dans les îles des marais situés le long de la mer Adriatique, près du delta du Pô. Selon la légende entretenue par les habitants eux-mêmes, Venise aurait été fondée le 25 mars 421 dans les îlots du rivus altus, qui donna lieu au Rialto. Des îlots qui ont pour nom Lido, Murano, Burano, Torcello, San Michele, San Erasmo, Mazzorbo, etc.

En 452, un premier établissement fut fondé par des réfugiés de Padoue et d’Aquilée avant de devenir une province de l’Empire romain d’Orient sous Justinien Ier. Dans cette zone marécageuse, difficile d’accès pour des navires à quille, Venise servit initialement de refuge de la civilisation romano-byzantine. Mais au fur et à mesure de son développement, son autonomie s’accrut pour aboutir à l’indépendance.

Au fil du temps, les Vénitiens élargirent leur marge de manœuvre politique et se dotèrent d’un pouvoir local incarné par le premier Duc ou «Doge», personnage aux confins de la légende et de l’Histoire, pour finalement s’appuyer sur la mer et étendre leur pouvoir.

Durant onze siècles (697-1797), la «Sérénissime» capitale de la République de Venise exerça une domination économique à la fois sur le reste du pays et sur l’ensemble de la mer Méditerranée, espace dans lequel elle joua un rôle politique de premier plan. Après la 4ème croisade, Venise se tourna vers Constantinople et s’empara des richesses de l’Empire byzantin, constituant ainsi son propre empire maritime comprenant la plupart des îles grecques et dalmates.

Portée par le dynamisme de ses commerçants, Venise quadrupla sa puissance navale au cours du XVème siècle, et fit de son arsenal la plus grande manufacture du monde avec près de 16.000 ouvriers sur un espace protégé de 25 hectares. Elle arma une flotte de 6.000 galères, et fut en mesure de prendre des risques sous forme de convois réguliers. Elle finit par régner sur la mer Méditerranée et devenir le port le plus important, dépassant Constantinople.

De son conflit avec Gênes, sa grande rivale en Italie du nord et en Méditerranée, elle sortit vainqueur, mais épuisée.
Mais les lois de l’Histoire sont aussi implacables qu’immuables. Le déclin commença avec la progression turque en Méditerranée, qui la priva progressivement de toutes ses terres grecques. Elle perdit ensuite de son importance commerciale en raison du détournement du commerce européen vers les océans après la découverte de l’Amérique.
Devenue politiquement un État italien parmi d’autres, Venise fut annexée par Napoléon Bonaparte le 12 mai 1797.

L’empereur la livra ensuite aux Habsbourg en échange de la Belgique. Il la reprit en 1805, et l’intégra au Royaume d’Italie dont il se fit couronner roi, avant que la ville ne soit intégrée dans l’Empire d’Autriche de 1815 à 1866. Venise se libéra de la domination autrichienne le 3 octobre 1866 pour devenir un simple chef-lieu de province italien.

Depuis, chaque jour, des milliers de visiteurs, venant des quatre coins du monde, arpentent sa grande place de San Marco, s’émerveillent devant les fresques de sa basilique du même nom, goûtent au charme des petites places qui émaillent ses quartiers, contemplent les motifs décoratifs des murs de ses habitations, admirent la richesse des peintures de ses églises, déambulent dans le quartier de Castello, se perdent dans les ruelles du quartier Cannaregio, et se laissent envoûter par la magie des mystérieuses gondoles.

Tout le long, dans la pénombre des ruelles étroites, ils s’arrêtent devant les canaux, se penchent sur les eaux bleuâtres de la lagune et tentent de retrouver dans leurs reflets tremblotants la gloire passée de la Cité des Doges.
En ces temps troubles de doute et d’incertitude, l’humanité a tant besoin d’un retour sur le destin du haut lieu que fut la Sérénissime Cité, devenue par les insaisissables péripéties de l’Histoire, une simple destination touristique.

Un tel retour permettra de méditer sur la précarité consubstantielle de la condition humaine, de mesurer l’inanité de toute puissance politique, de déchiffrer les clés d’évolution des civilisations, et peut-être, de trouver de vrais repères à l’évolution du monde, dans un avenir plus paisible, plus prédictible.

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