Alors que l’on commémorait cette semaine les attentats du 11 septembre, depuis quelques mois, une polémique fait rage aux Etats-Unis. Certains spécialistes pensent que l’organisation Al Qaïda a échoué, qu’elle est sur sa fin, tandis que d’autres au contraire pensent qu’elle est toujours active et reste la principale menace pour les Etats-Unis aujourd’hui. A quelques semaines seulement des présidentielles américaines, dans lesquelles se joue- du moins en principe- l’engagement militaire des Etats-Unis au Moyen-Orient, il n’est pas nécessaire de considérer ces analyses avec prudence : elles tombent plutôt à pic pour servir l’un ou l’autre des deux camps. Par ailleurs, il faut rester mesuré lorsque l’on parle de «déclin», ne serait-ce que par respect pour la mémoire des victimes des attentats revendiqués par Al Qaïda qui ont, durant tout l’été, endeuillé l’Algérie et le Pakistan.
Ces précautions prises, les théoriciens du déclin d’Al Qaïda n’ont pas entièrement tort. Le mouvement n’a pas, comme il l’avait annoncé, plongé le monde des «croisés» dans la terreur, pas plus qu’il n’a pu renverser les régimes arabes qu’il jugeait «corrompus» pour les remplacer par des régimes islamistes. Il aurait fallu pour cela qu’il développe et jouisse d’un soutien massif parmi les populations du monde musulman : mais les Musulmans étant eux-mêmes victimes de l’organisation, leur adhésion était compromise. Autre signe du déclin selon certains : le «volte-face» d’éminents théoriciens du mouvement, comme le Dr Fadl ou le cheikh Salman al Oudah. Dans leurs publications récentes, ils mettraient à mal l’organisation, regrettant même le 11 septembre qui aurait selon eux signé la mort d’Al Qaïda, et appelant à mettre fin aux violences et aux attentats au profit du compromis politique. En clair pour eux, il faut rentrer dans les rangs. Enfin, s’agissant des groupuscules revendiquant leur filiation à Al Qaïda, sévissant en Europe, au Maghreb, ou au Pakistan, il ne s’agirait que des derniers soubresauts d’un «jihad sans leader» voué à disparaître de lui-même.
Reste que si Al Qaïda a, selon cette théorie, perdu ses objectifs et par là même, de sa superbe, elle a réussi au moins sur un plan essentiel : le plan symbolique. Les attentats du 11 septembre et la figure de Ben Laden ont revivifié des mythes anciens comme celui de David et Goliath. Il se trouvera dorénavant toujours des groupes pour porter fièrement l’héritage jihadiste et faire du terrorisme de masse un outil de propagande politique. Mais surtout, l’organisation, qui n’est évidemment pas légitime, a réussi le tour de force de rendre également illégitimes les grandes démocraties occidentales en les plongeant dans des guerres qui durent encore, en Afghanistan et en Irak. Elle les a amenées à commettre, comme elle, l’irréparable et l’injuste. A cela près que, contrairement aux démocraties occidentales, Al Qaïda n’a jamais prétendu être morale. Et tant que le véritable défi qui consiste à réparer cette légitimité par une gestion plus juste des relations internationales ne sera pas relevé, Al Qaïda aura gagné.