L’opposante au régime militaire, qui domine la Birmanie depuis plusieurs décennies, était en résidence surveillée à Rangoon depuis sept ans, c’est-à-dire qu’elle ne pouvait pas se déplacer librement depuis mai 2003. Aung Sann Suu Kyi est très certainement une grande figure de notre humanité, un des ces êtres qui incarnent les plus belles qualités qui peuvent être celles d’un homme ou d’une femme. Voilà plus de vingt ans – depuis 1988 – qu’elle a été amenée à prendre la tête du mouvement pour la démocratisation de son pays. Cela lui a valu d’être emprisonnée puis placée en résidence surveillée la plupart du temps (quinze années sur vingt-deux!). Quand, en 1997, son mari, l’anthropologue britannique Michael Aris, est mort d’un cancer en Grande-Bretagne, Aung Sann Suu Kyi n’a pas pu aller à son chevet, car les militaires birmans ne lui auraient pas permis de revenir parmi son peuple. Toutes ces années, elle n’a pas pu embrasser non plus ses deux fils, ceux-ci se voyant refuser le visa d’entrée en Birmanie (appelée à présent Myanmar). Née en 1945, Aung Sann Suu Kyi a de qui tenir. Son père, le général Aung San, a été le leader de l’indépendance birmane quand le pays était colonisé par la Grande-Bretagne (il a été assassiné par des rivaux en 1947). Quant à sa mère, Daw Khin Kyi, elle a été ambassadrice de Birmanie en Inde dans les années 1960. C’est d’ailleurs en allant vivre près de cette maman, vieillissante et malade, que, en 1988, Aung Sann Suu Kyi s’est retrouvée à la tête de la direction de la Ligue nationale pour la démocratie. Ce parti a gagné les élections législatives de 1990, et Aung Sann Suu Kyi aurait dû devenir Premier ministre. Mais les militaires ont refusé le scrutin et annulé les élections. Aung Sann Suu Kyi n’est pas un personnage politique comme beaucoup d’autres. C’est, d’abord, une conscience morale universelle. Ayant accomplie des études de philosophie, elle a été très marquée par la pensée non violente du Mahatma Gandhi. De ce fait, elle n’a pas cessé depuis vingt ans d’opposer et de promouvoir une résistance non-violente aux généraux birmans. Une résistance qui demande que les gens se libèrent de la peur. Comme elle l’a exprimé dans un discours resté célèbre : «Ce n’est pas le pouvoir qui corrompt, mais la peur: la peur de perdre le pouvoir pour ceux qui l’exercent, et la peur des matraques pour ceux que le pouvoir opprime».
Cette femme au beau sourire et à la silhouette élégante est devenue une icône mondiale. Tous les soutiens dont elle bénéficie à travers la planète se sont jusque-là montrés impuissants, cependant, à permettre le triomphe de la démocratie en Birmanie. Le 7 novembre dernier, les militaires ont organisé des élections qui leur ont été profitables, mais qualifiées de «mascarade» par les Etats-Unis. La Chine, hélas, soutient ce régime. Libérée à la date où son assignation de résidence prenait fin officiellement, Aung Sann Suu Kyi va-t-elle longtemps pouvoir bénéficier de sa liberté? Il est, au moins, une liberté que ses ennemis ne pourront lui ôter: celle de sa conscience.