Leur conscience identitaire passe par là. «Manger halal» est pour eux une manière de définir les contours de leur identité, pour eux-mêmes autant que pour les autres. Comme si «l’halalité» contenait leur «islamité», voire: était en mesure d’y suppléer! «Je suis musulman puisque je mange halal», semblent signifier beaucoup d’entre eux. Il y a une vingtaine d’années, on entendait certains dire : «Je ne mange pas de cochon, voilà la preuve que je suis bien musulman!». Les frontières de leur identité désormais se sont élargies: pas seulement l’interdit du cochon, mais encore celui de toute viande qui n’a pas été saignée. Ceux qui se conduisent ainsi, on l’aura compris, ce sont la plupart des jeunes gens issus de familles musulmanes qui sont, désormais, des citoyens français. Ces dernières années, la majorité d’entre eux est devenue intraitable à ce sujet. Paradoxalement, une partie des plus radicaux en ce domaine se trouve… en prison! Ils ont volé de vieilles personnes; ils ont mis des filles sur le trottoir et profité des gains de la prostitution; ils ont vendu du haschich et commis bien d’autres délits, mais ils se sentiraient des «moins que rien» s’ils n’exigeaient pas de manger halal! Grâce à cette exigence, les voilà qui affichent avec fierté leur islamité, oubliant que ce qui les a conduits derrière les barreaux n’était pas très «halal» ni très «musulman»… On le voit: la demande de «halal», en France (et sans doute ailleurs), revêt une dimension plus large que la simple application religieuse de ce qui est «licite» par rapport à ce qui est «illicite». Certes, il y a chez beaucoup de musulmans de France le souci de se montrer de «meilleurs musulmans», ce qui les conduit à respecter davantage ce qui est préconisé par la Charia. Mais il y a aussi, essentiellement chez les jeunes, des demandes de produits halal qui sont autant (sinon plus) des demandes pour se sentir exister dans une société où ils ont du mal à trouver leur place. C’est pourquoi on peut parler «d’halalité», ce concept recouvrant une façon d’être, une façon de se définir, une façon d’être en relation avec d’autres. «L’halalité» est liée à l’islamité, mais cela ne s’avère pas nécessaire. Ainsi, il y a des jeunes qui, sans être musulmans d’origine et de choix, consomment halal par sentiment d’appartenance à un même destin avec d’autres jeunes de leurs quartiers. Il peut y avoir, aussi, des personnes qui choisissent de consommer de la viande halal, parce qu’elles trouvent celle-ci plus saine et meilleure. Il y a, également, ceux qui consomment halal par solidarité prolétaire ou internationaliste avec les populations musulmanes considérées par eux comme opprimées, maltraitées ou mal aimées. A côté de «l’halalité religieuse», il existe ainsi une halalité sécularisée. De ce fait, «plus d’halal» ne veut pas dire forcément «plus de religieux»!