Chroniques

Autrement : juifs et musulmans

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Le pire y côtoie le meilleur. Rares sont, au milieu de cette production pléthorique, les ouvrages qui méritent qu’on s’y arrête sérieusement. Parmi ces derniers, celui que vient de publier Philippe Simonnot aux Editions Michalon : «Enquête sur l’antisémitisme musulman». Ancien chroniqueur au «Monde», ancien professeur d’économie du droit à l’Université de Paris-Nanterre, l’homme est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages d’économie et d’histoire. Avec son dernier livre, Philippe Simonnot s’est s’efforcé, explique la quatrième page de couverture, de «passer au crible quatorze siècles d’histoire commune». Le titre de l’ouvrage annonce cependant la thèse que l’écrivain développe: il y a un antisémitisme musulman. Pas seulement un antisémitisme arabe récent, qui serait lié aux crimes commis depuis soixante ans par l’Etat israélien contre les Palestiniens: un anti-judaïsme qui appartiendrait à toute l’histoire de l’Islam depuis quasiment les origines. Les musulmans seraient antisémites par vocation religieuse… A l’appui de cette thèse, l’auteur consacre un long chapitre au «divorce» qui a fini par se produire, après la bataille de Badr (en 623 de l’ère commune), entre les trois tribus juives de Médine et le Prophète Mohammed. Une séparation tragique qui a abouti à la condamnation à l’exil, et parfois à la mort, de la plupart des Juifs de la ville. L’épisode est connu des musulmans. Mais quelle ampleur a-t-il vraiment eue? Qu’est-ce qui s’est réellement passé? La relation la plus ancienne dont nous disposons, est celle qu’en donne la «Sîra» d’Ibn Hichâm. Une biographie du Prophète Mohammed qui a été écrite plus de cent cinquante ans après la mort de celui-ci. Or, Ibn Hichâm n’a pas hésité à brosser une fresque particulièrement sanglante. Selon lui, les Juifs de la tribu des Qurayza auraient été punis par le Prophète lui-même. Il aurait égorgé en personne sept cents hommes! Un récit invraisemblable, qui s’inscrit dans un genre littéraire où on exagère à volonté les évènements. En un temps où on n’avait pas sur le prix de la vie humaine le regard que nous portons aujourd’hui, les écrivains ne se sentaient pas gênés de faire couler le sang largement. On trouve ce même genre d’exagérations dans les récits bibliques de batailles. De surcroît, les auteurs de l’Antiquité qui prétendaient faire œuvre d’historiens, n’avaient pas de l’histoire la conception que nous avons de nos jours. Pour eux, il s’agissait davantage de magnifier les exploits de leurs héros (ou de dénigrer au maximum ceux qu’ils voulaient présenter comme des personnages négatifs), plutôt que de rendre compte exactement de ce qui s’était réellement passé. De ce fait, la «Sîra» d’Ibn Hichâm, si elle constitue un témoignage important sur la façon dont la mémoire de la vie du Prophète a été transmise, ne peut pas être considérée comme un document historique indiscutable. Or, Philippe Simonnot est tombé dans ce piège, se comportant en lecteur fondamentaliste. Sa manière de se saisir de la «Sîra» a au moins un mérite: elle doit nous alerter sur l’usage pervers qui peut être fait, aujourd’hui, de certains récits anciens.

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