Chroniques

Autrement : Les choix de nos mémoires

© D.R

Surtout, on y voyait la photo d’une main brandissant une chaussure, rappel du geste du journaliste irakien Muntadar el-Zeidi qui s’est rendu célèbre en envoyant ses souliers au visage du président américain George Bush. Les noms des cités martyres de Sétif et de Gaza apparaissaient en gros, précédant l’invitation à un rassemblement anticolonialiste dans le quartier de Barbès le vendredi 8 mai.
Pour la cinquième année consécutive,  le M.I.R., Mouvement des indigènes de la République, organisait sa « Marche du 8 mai contre la République raciste et coloniale ». La date du 8 mai 1945, célébrée dans toute la France comme celle de la fin de la Seconde Guerre mondiale et du retour du pays à l’état de droit, s’avère être, aussi, le jour où eurent lieu, en Algérie,  à Sétif et à Guelma, d’épouvantables massacres (plusieurs milliers de morts), en répression de manifestations réclamant l’indépendance. La France libérée et réhabilitée refusait violemment aux autres la liberté et la dignité!
Je ne doute pas que, pour qu’un crime soit réellement pardonné, il faut d’abord qu’il soit reconnu par ceux qui en portent la responsabilité, en l’occurrence l’Etat français, même si ses responsables d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’il y a plus de soixante ans. Deux grandes interrogations, cependant, ont surgi à mon esprit à propos de cette affiche. D’abord, le lien fait entre Sétif et Gaza. Certes, il est légitime de considérer que l’occupation par l’Etat d’Israël des territoires palestiniens est un fait colonial comparable à l’ancienne colonisation du Maghreb par la France, et que les victimes innocentes de la récente guerre de Gaza rappellent celles de Sétif. Toutefois, en liant ces deux  tragédies, ne prend-on pas le risque d’associer dans un même ensemble haïssable la France et l’Israël d’aujourd’hui, les Français et les Israéliens, les chrétiens et les Juifs? Pourquoi ne pas assembler d’autres massacres du passé et du présent, qui, hélas! ne manquent pas? Beaucoup de jeunes issus de familles arabo-musulmanes qui ont du mal à trouver leur place dans la société française, peuvent être tentés de trouver là de quoi nourrir davantage leurs rancoeurs. Est-ce souhaitable?
Ma deuxième réflexion porte sur les choix de nos mémoires. Certes, il y a les crimes du colonialisme et bien d’autres encore. Mais il y a eu aussi, dans l’histoire, beaucoup de Français anti-colonialistes, de nombreux acteurs européens de la fraternité et de la solidarité entre les peuples. Cette mémoire-là ne mérite-t-elle pas d’être également cultivée? Mieux: ne doit-on pas la privilégier, dès lors que nous nous trouvons dans des situations où il faut construire le «vivre-ensemble» de populations aux histoires compliquées? Le Maroc a connu lui aussi les malheurs de la colonisation française. Cependant, nous avons conservé un rapport beaucoup plus pacifié à la France que celui d’autres peuples colonisés. Et il semble que cela soit davantage profitable aux Marocains et Franco-Marocains de France que l’enfermement dans le ressentiment.

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