Chroniques

Autrement : Les peuples et leurs légendes

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Un livre assez surprenant vient d’être traduit récemment en français après sa publication en Israël : «Comment le peuple juif fut inventé» (Fayard, 2009). Son auteur, Shlomo Sand, n’est ni un farfelu, ni un adversaire a priori du peuple hébreu: il est lui-même israélien et professeur d’histoire à l’Université de Tel-Aviv. Quelle thèse défend-t-il sous un titre aussi provocateur? C’est qu’au cours du XIXe siècle, des historiens juifs ont «reconstruit» de manière imaginaire l’histoire du peuple juif, en vue de façonner une future nation qui pourrait prétendre à avoir son Etat. Ils ont utilisé, pour ce faire, les récits bibliques dans un sens national, voire nationaliste, en négligeant leur dimension métaphorique ou mythique, mais aussi d’autres légendes allant dans le même sens et véhiculées au cours du temps, à des périodes différentes de l’histoire.
Ainsi, Shlomo Sand se penche sur l’affirmation répandue selon laquelle le peuple juif a été expulsé de sa terre par les Romains au IIe siècle de notre ère, suite à la dernière grande révolte de 132-135 (révolte de Bar Kochba). Or, il n’existe aucune preuve de cet acte d’exil! Il s’agirait d’une légende créée par l’apologétique chrétienne pour justifier la malédiction pesant sur le peuple juif. Il arrivait que les Romains, certes, emmènent des rebelles en captivité, mais il n’y a aucune trace d’une expulsion ou d’un exil des peuples du Proche-Orient sur ordre des Romains. Si donc les juifs n’ont pas été expulsés, où sont-ils passés? Eh bien, les juifs de l’Antiquité habitant en Judée, en Samarie, en Galilée… seraient devenus tout simplement des Palestiniens, ou au moins une partie d’entre eux! Au VIIe siècle, la population juive peuplait toujours ses terres historiques, et elle se serait massivement convertie à l’Islam lorsque les propagateurs du message coranique sont arrivés.
Mais alors, d’où proviennent tous les juifs disséminés en grand nombre à travers le monde connu, de l’époque romaine au Xe siècle? Il faut savoir qu’avant même la destruction du Temple de Jérusalem par les Romains en l’an 70 de notre ère, la diaspora juive était très importante dans tout l’empire. Beaucoup de juifs sont les lointains descendants de ces communautés dispersées. Mais il y a eu, également, au cours de l’histoire des conversations massives au judaïsme, conversions nombreuses d’individus isolés mais aussi de régions entières, à des époques où le judaïsme orthodoxe n’était pas hostile, comme aujourd’hui, aux conversions. Shlomo Sand cite l’expansion du judaïsme en Afrique du Nord dès les débuts du IIe siècle, l’empire himyarite (en Arabie du Sud) judaïsé au IVe siècle, le royaume juif de Khazarie, en Europe orientale, au VIIIe siècle…
Cette relecture de l’histoire s’avère, bien entendu, de nature à remettre en cause l’idée (partagée aussi bien parmi les antisémites que chez les sionistes! ) selon laquelle les juifs formeraient un peuple doté d’un ADN spécifique. Elle invite aussi les Palestiniens à un nouveau regard sur leur propre passé. Surtout, elle nous rappelle que l’histoire des peuples, de tous les peuples, est souvent faite de mythes fondateurs. Pour exister en tant que nations comme en tant qu’individus, nous avons besoin de nous appuyer sur une mémoire glorieuse. Or, la mémoire est toujours en construction.

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